Le contexte est assez particulier… Une parcelle sise entre le « vieux » Paris et un morceau de ville réinventé autour des voies SNCF, la Zac de Clichy-Batignolles, peuplée de nouvelles constructions aux architectures très variées. Elle comprend plusieurs secteurs dont celui dit de Saussure, à deux pas du Pont Cardinet, dans lequel se glisse l’immeuble dessiné par l’agence BVAU. Elle y inscrit un bâtiment à forte identité, facilement reconnaissable sans être ostentatoire pour autant. Le parti, ici, n’est pas de jouer sur la performance formelle, tant il est vrai que dans ce type de programme et de prospect, l’implantation et le volume global d’un bâtiment sont plus que cadrés. La marge de liberté de conception se joue sur l’organisation des logements, l’extension possible des cellules d’habitation sur l’extérieur, le rapport au voisinage et, plus largement, à la ville. C’est justement sur ces notions que l’agence BVAU a fondé l’originalité et la fonctionnalité de son projet.

Au dernier étage, l’une des loggias offre une vue en cinémascope sur la ville.
Au dernier étage, l’une des loggias offre une vue en cinémascope sur la ville.
Seule exception au jeu de décalage, les loggias situées en pignon et faisant face au bâtiment mitoyen.
Seule exception au jeu de décalage, les loggias situées en pignon et faisant face au bâtiment mitoyen.

Le bâtiment se livre à son environnement comme un empilement de boîtes vitrées légèrement décalées, de 10 à 60 cm, à la manière de grandes fenêtres sur la ville. Ce jeu de décalage crée une façade vibrante et dynamique dans laquelle se reflète le ciel suivant le point de vue adopté – une fragmentation qui individualise chaque logement et signale son échelle, les serres filant tout le long des logements. Bien plus qu’un simple dispositif formel signant une architecture, ces briques emboîtables, mi-béton, mi-verre, forment une peau épaisse qui enveloppe la construction pour offrir aux locataires un espace de vie supplémentaire, à la manière d’un jardin d’hiver dont les volets vitrés, pivotants et coulissants, peuvent s’escamoter à tout moment et venir se ranger contre le mur de séparation, transformant la serre en une loggia classique. Appropriables tout au long de l’année, ils représentent entre 10 et 40 % d’espace supplémentaire suivant le type de l’appartement et sa position dans l’immeuble.

Un empilement de boîtes en béton qui doit sa légèreté aux façades entièrement vitrées.
Un empilement de boîtes en béton qui doit sa légèreté aux façades entièrement vitrées.

Un dedans-dehors revisité

L’originalité et la qualité de ce bâtiment tiennent bien sûr à ces espaces « hybrides », mais également à l’organisation des différents logements qui profitent tous, a minima, de deux orientations, voire trois pour les plus spacieux. Les habitants disposent d’un appartement lumineux et fonctionnel, avec la possibilité de parcourir leur logement par l’extérieur, toutes les pièces de vie étant équipées de portes-fenêtres. Ils peuvent ainsi profiter pleinement d’un mode de vie alliant le dedans au dehors, où la frontière classique entre intérieur et extérieur prend une nouvelle dimension par l’ajout de cet espace tampon. À ce confort spatial, s’ajoute un confort acoustique. En effet, ces volets de verre ont, en outre, l’avantage de protéger. Ils forment un écran supplémentaire, un premier rempart vis-à-vis de l’environnement qui peut être bruyant. Cette première protection acoustique est relayée par la mise en place de menuiseries aux vitrages ultra-performants, notamment pour les façades situées près des voies de chemin de fer, en particulier le long de la rue Marie-Georges Picquart. 

Les dimensions du cadre de chaque jardin d’hiver dévoilent la proportion de l’appartement qu’elle prolonge.
Les dimensions du cadre de chaque jardin d’hiver dévoilent la proportion de l’appartement qu’elle prolonge.

Un béton efficace et discret

Côté structure, le projet ne comprend, au premier abord, aucune prouesse technique. Le corps principal et central du bâtiment s’annonce classique, soit un ensemble compact, clos et couvert comportant un minimum d’éléments porteurs intérieurs, de façon à entraver le moins possible la partition des logements. C’est en analysant la composition de l’enveloppe extérieure, faite de jardins d’hiver, que l’on découvre la mise au point plus que particulière qui a dû être opérée pour aboutir à la volumétrie finale du projet, caractérisée par ces boîtes extérieures, que ce soit pour le choix du système de paroi de verre à mettre en place ou celui du type de structure. Les architectes ont envisagé plusieurs matériaux pour la réaliser. La solution adoptée au final, considérée a posteriori comme la meilleure, fut celle du béton. En effet, pour l’agence BVAU, le béton non seulement permettait de maîtriser le coût, mais ajoutait une dimension protectrice, un sentiment de stabilité, un assourdissement des bruits, une impression de cocon rassurante, idéale pour un programme domestique. Recouvert d’une résine acrylique autolavante blanche, le béton a été choisi ici pour sa plasticité et ses qualités techniques, à savoir son caractère coupe-feu, son inertie thermique ou encore son degré d’affaiblissement acoustique

Une mise en œuvre au millimètre 

En termes de chantier, si la structure globale du bâtiment, quasi entièrement réalisée en béton coulé en place, a posé peu de problèmes, la conception et la mise en œuvre des jardins d’hiver ont nécessité une extrême précision dans le dessin et le dimensionnement des différentes pièces. Pour cette dernière raison, les poutres composant les cadres des jardins d’hiver ont été préfabriquées selon six modèles. Ils correspondent aux différentes dispositions et imbrications des boîtes, décalées de 10, 20 ou 60 cm du nu de façade

Les panneaux de verre, tous identiques, ne laissaient place à aucune erreur dimensionnelle. Compte tenu de ce principe d’imbrication, les jardins d’hiver ont été installés niveau par niveau, chaque poutre devant arriver sur le chantier dans un ordre prédéterminé. Sans une conception du projet en 3D dès la phase APD, ce principe aurait été très difficile à maîtriser, tant en termes de coût que de précision dimensionnelle. Cette réalisation met en évidence l’intérêt des nouveaux outils de conception qui offrent la possibilité de créer une volumétrie sur mesure sans impliquer, entre autres, une phase d’étude trop longue ou la démultiplication des dessins de détail. 

L’empilement des boîtes suit une composition d’apparence aléatoire et pourtant rigoureuse.
L’empilement des boîtes suit une composition d’apparence aléatoire et pourtant rigoureuse.

Allier l’utile à l’agréable

Si le principe du décalage en façade des jardins d’hiver constituait, en premier lieu, un parti pris architectural, il s’est avéré être, en cours de conception, un atout permettant de respecter la réglementation de sécurité incendie sans remettre en cause la mise en place des volets de verre toute hauteur. En effet, l’ajustement et le dimensionnement de ces décalages, de 10 à 60 cm, a permis d’obtenir les bonnes proportions pour la règle dite du « C+D ». Là encore, la modélisation du projet en trois dimensions a facilité ce type de réglage

D’un point de vue environnemental, le plus grand enjeu du projet concernait les économies d’énergie. Le programme de logements fait partie du plan Climat de la Ville de Paris imposant aux nouvelles constructions un bilan énergétique de 50 kWh/m2/an. Le bâtiment remplit cette condition et va même un peu plus loin. Il a obtenu la certification « Habitat & Environnement », profil A. L’ajout d’une enveloppe constituée de serres/jardins participe réellement à son obtention. En effet, cette « épaisseur thermique » permet d’économiser 15 à 20 % des besoins en chauffage de l’ensemble de l’opération et de chacune des habitations. Une simulation réalisée sur un appartement traversant, et tenant compte du jardin d’hiver, évalue la consommation énergétique à 32 kWh/m2/an. 

Certains locataires en ont fait de vrais jardins d’hiver.
Certains locataires en ont fait de vrais jardins d’hiver.

Outre les efforts réalisés en termes d’isolation, qu’elle soit thermique ou acoustique, le bâtiment intègre un système de récupération des eaux grises qui participe au chauffage de l’eau chaude sanitaire. La chaufferie, quant à elle, est reliée au réseau de chauffage urbain pour optimiser les coûts et diminuer le plus possible les charges des locataires, lesquels, on l’espère, apprécieront le caractère innovant de leur logement.

Reportage photos : Cyrille LALLEMENT et Pierre-Yves BRUNAUD

Maître d’ouvrage : ICF Habitat La Sablière – Maître d’œuvre : BVAU Bartolo Villemard Architecture Urbanisme ; Élodie Heim Besson, chef de projet – Aménageur : Espaces ferroviaires – BET TCE + HQE® : Arcoba – BET façades : VSA – Entreprise gros œuvre : Hervé SA – Préfabricant : Hervé SA – Surface : 8 500 m2 SHON – Coût : 14,3 M€ HT – Programme : 98 logements sociaux et un équipement multiaccueil.



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