Changement de cap à Vitrolles ! Inscrite dans un projet de rénovation urbaine, la médiathèque lumineuse conçue par l’architecte Jean-Pierre Lott déjoue avec maestria les lois de la gravitation et les contraintes sismiques par son immense porte-à-faux sur la voirie. Redonnant au quartier une urbanité et des espaces publics dignes de ce nom, elle transfigure son image. Elle assigne en outre un rôle noble au béton armé, matériau qui servit en d’autres temps l’urgence et l’économie de la reconstruction.

Remontons le temps… Petit village provençal d’un millier d’âmes, Vitrolles devint dans les années 1960 la cité-dortoir sillonnée d’immeubles barres que nous connaissons, agrandie trop vite sans prêter soin aux espaces publics. « Le travail de l’architecte consiste donc à soigner plutôt qu’à détruire en apportant épaisseur, matière et complexité à ce lieu qui en manque singulièrement », dit Jean-Pierre Lott. « Ici, travailler sur l’architecture et les formes urbaines relève également d’une volonté politique. Pour faire de Vitrolles une ville où les rares équipements publics et culturels tiennent lieu de monuments apparaissant comme des objets d’exception, ils doivent jouer un rôle urbain et social. Toutes les villes s’étant construites en mettant en scène des édifices symboliques en relation avec une échelle plus domestique, la médiathèque devient l’élément majeur de la grande place créée sur l’axe principal du quartier des Pins, où sa silhouette et son statut de signal en font l’événement que la ville attendait. » Adoptant des formes changeantes selon les heures, la luminosité et l’endroit où l’on se trouve, la voilure cinétique en béton se mue en mur interactif face à la place, où un dispositif sert de support d’affichage ou pour l’accrochage d’œuvres d’art.

La noblesse du béton

Quasiment opaque en apparence vers la place au sud, très ouverte à l’intérieur où la lumière pénètre par le nord et des puits de lumière zénithaux, la médiathèque trompe son monde. Si la plastique du béton donne forme à des dessins exprimant des abstractions, le matériau règle également l’intégration au site d’un édifice institutionnel. L’élégance du monument tient aux contrastes entre le lourd et le léger, l’opaque, le transparent, l’ajouré, l’ouvert et l’intime et l’architecture y puise sa force. Par la dynamique de ses courbures en béton, ses percements géométriques et ses terrasses, la médiathèque apporte bien les effets de matière et la singularité qui manquaient au quartier. Surmontée de l’immense voilure sinueuse du béton gris clair ajouré de l’étage, la transparence du rez-de-chaussée invite à entrer. La composition répond aussi à l’ambition du programme établi par Loïc Gachon, maire de la ville, les bibliothécaires et les habitants. L’originalité a consisté à adjoindre aux fonctions courantes dans un équipement de ce type un snack associatif, un auditorium et une salle polyvalente et à répartir les éléments programmatiques entre de vastes plateaux libres – où une part de bruit est admise – et de petites entités dédiées à certains usages, parfaitement isolées et adaptées à chaque public (ateliers, salles informatiques).

La lumière d’une promenade architecturale

Sur les trois niveaux, seuls le rez-de-chaussée et le premier étage sont accessibles au public, le second étage étant voué aux services internes dotés d’une grande terrasse accessible. Par la place, le piéton accède ainsi de façon très fluide à l’entrée, aux espaces d’exposition, au café, au pôle enfants et à l’auditorium faisant sortir le bâtiment de son cadre. L’étage, en encorbellement, protège les espaces de consultation de l’ensoleillement direct. Fiction et documentaire se partagent ces plateaux de consultation ouverts et fluides, gratifiés d’une belle lumière naturelle et de vues traversantes sur quatre orientations.

L’émergence de la tisanerie du personnel en partie haute, face au grand axe du quartier.
L’émergence de la tisanerie du personnel en partie haute, face au grand axe du quartier.
L’ancrage de la médiathèque dans le quartier.
L’ancrage de la médiathèque dans le quartier.

Majesté structurelle et lumière

Nourri de la majesté d’un escalier monumental en béton coulé en place, animé par un double jeu de passerelles reliant les espaces de consultation et la « salle bulle », le hall en double hauteur fédère l’ensemble des espaces au fil d’un parcours continu qui n’est pas sans évoquer une déambulation muséale. La séparation entre le circuit du public et celui du personnel et du livre étant déterminante dans le plan, le cheminement du rez-de-chaussée au niveau 1 est une véritable promenade architecturale entre des espaces décloisonnés. Dans un accord parfait avec l’architecture, les écrans acoustiques et le mobilier dessiné ou choisi par Jean-Pierre Lott laissent passer le regard, sans jamais perturber les perspectives. Le pôle enfance est éclairé par un puits de lumière central et son jardin extérieur autorise des activités de plein air dans une ambiance intime protégée des regards par une peau de béton. Quant à la salle polyvalente qui accueille notamment l’heure du conte, elle gravite tel un zeppelin au-dessus du hall, donnant un point central à la composition. Les façades en béton gris clair sont en harmonie avec les matériaux intérieurs choisis pour leur solidité et leur élégance.

La structure principale du bâtiment est constituée d’une ossature poteaux, voiles et planchers armés. La médiathèque étant située dans une zone sismique, la structure en béton qui vient en encorbellement de la façade sur 5 à 6 m sans points porteurs a été modeli- sée. Le bâtiment étant séparé en 4 blocs par des joints de dilatation, quatre modèles indépendants ont été réalisés.

Les voiles en porte-à-faux ont été mis en œuvre à l’aide d’un platelage périphérique à 4 m de hauteur servant de support aux banches. Après une première étape consistant à couler et à stabiliser provisoirement des voiles courbes de 9 m de haut, les poutres et les planchers bas des deux niveaux ont été réalisés avec une liaison par coupleurs aux voiles courbes. La dernière étape a consisté à ôter les éléments de stabilisation des voiles et à démonter le platelage.

Contrairement à ce qui est d’usage en zone sismique, il y a peu de voiles porteurs au rez-de-chaussée au profit d’une structure poteaux-poutres permettant les grandes ouvertures vitrées. Elle supporte le porte-à-faux du mur courbe de 9 m de hauteur dominant la voirie. Étant suspendu aux deux niveaux de planchers (R+1 et R+2), ce voile, composé de sections coulées en place intégrant, tous les 25 m, des joints de 6 cm d’épaisseur, ne s’est véritablement équilibré qu’en fin de chantier. Pour revenir à l’horizontale une fois toutes les charges permanentes effectives, les poutres de la structure intégraient donc une contre-flèche (jusqu’à 1,5 cm).

Compte tenu de la courbure de la façade, les coffrages qui ont permis les percements géométriques au nord ont donné lieu à un travail de mise en œuvre très minutieux, sans reprise possible. Pour recréer des appuis sur cette façade courbe lors du coulage, des dispositifs de menuiserie spécifiques ont été installés sur le chantier.

Labellisé et isolé par l’intérieur

Avec l’attrait d’une architecture isolée par l’intérieur qui fait la part belle au béton en façade, ce bâtiment a réussi la performance d’obtenir le label bâtiment durable méditerranéen niveau argent. Un béton à faible empreinte carbone a été mis en œuvre. Sa formulation a également permis d’obtenir une teinte de béton claire, se rapprochant du béton blanc. La totalité des ouvrages a été coulée en place, les façades étant ensuite protégées par une lasure faiblement teintée en blanc, ce qui protège le béton et l’éclaircit encore tout en conservant son aspect architectonique.

Le zeppelin de la salle polyvalente.
Le zeppelin de la salle polyvalente.
détente, accueil et services se conjuguent dans le hall.
détente, accueil et services se conjuguent dans le hall.
La globalité de l’espace est perceptible en permanence.
La globalité de l’espace est perceptible en permanence.

Reportage photos : Aldo AMORETTI

Maître d’ouvrage : ville de Vitrolles – Mandataire : Icade – Maître d’œuvre : Jean-Pierre Lott, architecte mandataire – BET TCE et structure : Oteis – BET HQE® : Oasiis – BET acoustique : Acoustb – Entreprise de gros œuvre : Eiffage – Surface : 3 990 m² SHOB – Coût : 10 M€ HT – Programme : espaces d’accueil et de consultation, salles de lecture, bureaux administratifs, salle de l’heure du conte.



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