Faire la ville sur la ville consiste en des montages parfois délicats pour construire plus haut. La tour Incity est un exemple intéressant car construite sur un site étroit qui nécessitait la démolition d’une tour existante. Entretien avec Claire Bertrand, chargée du projet au sein de AIA Architectes associés à l’agence Valode et Pistre (mandataire).
Cette tour de 200 m de haut, soit l’édifice le plus haut de Lyon, a été implantée à la place de l’ancienne tour UAP, en plein centre d’affaires. Avez-vous décidé rapidement du démontage de la tour existante et comment avez-vous procédé pour éviter au maximum les nuisances ?
Claire Bertrand. Nous avons regardé les possibilités d’une réhabilitation de la tour qui s’inscrivait dans le plan Part-Dieu, un quartier sur dalle, à 6 m du sol réservé aux piétons, avec un socle dédié aux voitures. Mais la conclusion n’était pas efficiente. Nous avons décidé, en concertation avec l’ensemble des acteurs, de la démonter et d’en reconstruire une nouvelle, car il s’agissait de l’inscrire dans le schéma urbain de développement de la Part-Dieu qui vise à créer de la hauteur et de la densité tout en retrouvant un rapport au sol.
Pour la démolition, nous avons vite abandonné les méthodes dites « dures », comme l’explosion. Une explosion au gaz avait eu lieu peu de temps auparavant cours Lafayette, et le quartier était encore en état de choc. Les problématiques de poussières et de bruit étaient aussi importantes à prendre en compte, le site étant mitoyen des halles Paul Bocuse, le temple de la gastronomie.
Nous nous sommes donc orienté vers une déconstruction douce avec plusieurs phases : le curage et le désamiantage qui s’est fait à l’intérieur de la tour, la dépose des panneaux de façades en pierre et métal, puis le démontage du squelette béton. Nous avions imaginé des systèmes de protection qui descendaient au fur et à mesure de la démolition et Bouygues nous a proposé d’adapter un système qui existait en Italie pour démonter de grandes cheminées. Ce dispositif a demandé un gros travail d’études amont permettant l’obtention de la certification CE, mais la suite a été rapide.
Quelles étaient les principales contraintes liées à l’étroitesse du terrain ?
CB : Il fallait concevoir un système ingénieux pour combiner des contraintes de chantier concernant l’approvisionnement et le stockage. Pour cela, Bouygues a proposé la construction d’une plateforme surélevée au dessus de la rue Garibaldi. L’étroitesse du terrain nous a aussi conduit à développer une solution d’ascenseurs innovante qui permettait de réduire le nombre de cages d’ascenseurs pour gagner un maximum de surface destinée aux plateaux de bureaux.
Quel système avez-vous mis en place pour ces ascenseurs et quelles répercussions a-t-il eu sur l’architecture de la tour ?
CB : C’est un système de twin avec deux ascenseurs dans une seule gaine, pour se limiter à six gaines et avoir un ratio convenable entre la surface d’emprise du noyau et la surface de bureaux. Cela nous permet, en plus, d’avoir de larges plateaux avec accès à la lumière du premier jour. Le résultat est une tour dont les locaux sont très lumineux. La particularité d’Incity est son rapport à la lumière naturelle, notamment à chaque palier d’ascenseur.
La tour se distingue par son socle et sa couronne. Comment les avez-vous conçus ?
CB : Notre volonté était de l’inscrire complètement dans la ville, d’où son nom : Incity. L’idée était de faire une tour, non pas posée sur un parvis mais accessible depuis le trottoir, à l’image des tours américaines. La sensation d’espace était donc à créer à l’intérieur, depuis le hall, avec un socle transparent, un lieu qui accueille et non une tour forteresse. Le rez-de-chaussée bénéficie de vitrages extra clairs et d’une double hauteur, avec des escalators donnant accès aux lobbies haut et bas qui accueillent les ascenseurs.
Pour la tête, la coiffe, nous avons mené plusieurs études. Nous souhaitions, au tout début, installer une éolienne, mais nous avons abandonné l’idée pour des questions de vibrations et de bruit. La tour est orientée avec trois façades respirantes en verre (Sud, Est et Ouest) qui intègrent des stores pour le traitement thermique et une façade Nord en simple peau (mais pas simple vitrage). La tête est orientée Nord-Sud dans le sens du vent, celui du Mistral qui démarre à Lyon pour aller vers le sud. Elle abrite l’ensemble des locaux techniques, de traitement d’air de la tour, largement ventilés, ouverts sur le toit pour préserver ainsi les voisins de toutes nuisances.