Après six années de recherche collaborative, le projet national RECYBETON présente ses avancées scientifiques ainsi que ses recommandations sur l’usage des granulats recyclés dans le béton. Objectif : indiquer à chaque acteur concerné les conditions de mise en œuvre pour obtenir un béton recyclé aux performances techniques et économiques aussi satisfaisantes qu’un béton classique. Entretien avec François de Larrard, directeur Scientifique du projet.
Axes et procédés du projet Recybeton
Quels ont été les grands axes de recherche du projet Recybeton ?
Tout d’abord, et avant d’étudier les propriétés structurelles des ouvrages en béton recyclé, il fallait s’intéresser à la fabrication de la matière.
Il existait déjà au niveau mondial un certain nombre de tentatives, voire de pratiques installées, consistant à utiliser d’anciens bétons qui, concassés et réduits à l’état de granulats, permettent de fabriquer de nouveaux bétons.
Dans le cadre du projet national RECYBETON, nous avons également travaillé sur des procédés permettant d’utiliser le béton déconstruit dans la fabrication de ciment à la place du « cru » ou comme ajout au clinker après cuisson (les ajouts sont des produits fins inférieurs à 63 microns).
En pratique, il fallait valider scientifiquement et industriellement la possibilité d’incorporer des gravats de bétons issus de la déconstruction dans le processus de fabrication du ciment (en substitution partielle du « cru », c’est-à-dire à la place des minéraux extraits et broyés avant d’être cuits dans le four de la cimenterie pour fabriquer le clinker) ou bien d’utiliser ces gravats réduits préalablement en poudre comme additions au ciment ou au béton (ajoutés et mélangés au clinker classique déjà fabriqué en substitution des additifs traditionnels : fillers calcaires, cendres volantes, laitiers…).
Au terme des travaux sur ces différentes approches, qu’avez-vous démontré ?
Nous avons fait la démonstration de leur faisabilité technique.
La méthode de recyclage de bétons issus de la déconstruction en tant que constituants du clinker a été testée industriellement. Rappelons que les normes actuellement en vigueur ne font pas obstacle à ce type de recyclage sur la nature des constituants du clinker. Elles fixent en revanche les propriétés que doit avoir le ciment.
Les deux autres voies de recyclage – ajout au clinker déjà élaboré et ajout au béton en tant qu’additif – n’étant pas autorisées par les normes actuelles, le projet RECYBETON s’est rapproché des commissions françaises et européennes de normalisation pour les faire évoluer, notamment celle traitant des ciments composés et celle concernant les additifs minéraux pour béton.
Comment le projet Recybeton participe à cette évolution normative ?
Les études scientifiques menées entre 2012 et 2018 dans le cadre du projet RECYBETON ont fait l’objet de 34 propositions d’évolutions normatives traitant des constituants, des granulats, du ciment, du matériau béton, du dimensionnement des ouvrages et des indicateurs environnementaux.
Ces propositions seront portées par les experts du projet auprès des commissions de normalisation nationales et européennes.
Des fiches techniques détaillant ces propositions seront éditées prochainement et disponibles sur le site Recybeton.
Les propriétés structurelles du béton recyclé ont également fait l’objet de recherches. Dans quel but ?
Le recyclage du béton issu de déconstruction est formellement autorisé en France depuis fin 2012, la norme principale qui régit la formulation des bétons étant la EN/206. Dans sa version française, elle valide l’emploi d’un certain taux de matériaux recyclés en substitution de granulats naturels.
Cette norme n’a cependant pas été complétée par une mise à jour de celle qui préside à la conception d’ouvrages.
Il était important de documenter cet aspect à travers des recherches en laboratoire et des chantiers pilotes.
Concrètement comment avez-vous procédé ?
Nous nous sommes attachés à examiner en détail les modifications des propriétés mécaniques des bétons fabriqués à partir de granulats recyclés en analysant simultanément les conséquences structurelles.
Le travail a été mené à trois niveaux : à l’échelle du matériau pur, à celle d’éléments de structure (poutres, poteaux) et à celle de l’ouvrage, avec un objectif : consolider toute la chaîne allant du matériau à la grande structure, en cherchant à comprendre, à modéliser et à prévoir.
En laboratoire, nous avons ainsi pu analyser le comportement du béton recyclé à ces différentes échelles, regarder ses interactions avec l’acier, afin de s’assurer que les résultats attendus sont identiques au comportement du béton classique.
Une fois ces tests validés, le projet RECYBETON a lancé 5 chantiers expérimentaux. Là encore, nous avons souhaité être le plus exhaustif possible en travaillant sur une large gamme d’ouvrages : dallage de parking, ouvrage d’art, bâtiment, terrasse, murets et trottoirs.
La durée de vie des ouvrages fait aujourd’hui partie intégrante des approches de la construction moderne. Comment le projet Recybeton a-t-il intégré cette donnée dans le cadre de l’utilisation de bétons recyclés ?
Effectivement, aujourd’hui il est essentiel d’intégrer la durée de vie des ouvrages dès leur conception. C’est le double enjeu de la durabilité : assurer une durée de vie à l’ouvrage et l’inscrire dans un processus de développement durable.
Le fait d’introduire dans le béton des granulats recyclés induit un supplément de porosité dans le matériau qui peut modifier certaines propriétés intervenant dans la durée de vie de l’ouvrage en béton.
Jusqu’ici, cette problématique avait été peu étudiée, nos collègues internationaux s’intéressant principalement à une approche purement structurelle et mécanique alors que des éléments comme la carbonatation ou la pénétration des chlorures dans les ouvrages peuvent écourter la durée de vie, notamment via l’interaction avec d’autres matériaux comme l’acier (dont la corrosion est, à ce jour, la première cause de dégradation des ouvrages en béton).
Le projet Recybeton a donc analysé en laboratoire toutes les propriétés du béton qui gouvernent sa durabilité comme les propriétés de transfert. Elles décrivent la capacité du béton à s’opposer à la pénétration d’agents extérieurs agressifs (chlorure présent dans l’eau de mer, oxygène et CO2 impactant l’alcalinité interne du béton et pouvant entrainer une corrosion prématurée des armatures en acier, …). Le comportement au gel/dégel et les risques de réactions de gonflement (liés à l’alcali-réaction ou d’origine sulfatique) ont été également appréhendés.
Constats et recommandations du projet
Quel est votre constat sur ce point ?
Le béton est constitué d’environ 70 % de granulats et de 30 % de matrice cimentaire. Lorsqu’on substitue une partie des granulats naturels par des recyclés, la phase granulaire devient plus poreuse. Pour des taux de recyclages élevés, on améliore la matrice par réduction de sa porosité propre. On maintient ainsi l’ensemble des propriétés gouvernant la durabilité du béton armé.
A l’heure de présenter les recommandations issues du projet Recybeton, quelle conclusion tirez-vous ?
Au-delà de la formidable aventure humaine qu’a été ce projet de 6 années rassemblant 47 partenaires venant d’horizon très différents, nous pouvons aujourd’hui avoir la satisfaction du travail accompli : grâce aux travaux menés et à l’implication de chacun, le béton recyclé, méconnu il y a quelques années encore, est aujourd’hui appréhendé et maîtrisé comme peuvent l’être les bétons classiques utilisés depuis plusieurs décennies.
Nous sommes aujourd’hui en mesure de donner toutes les clés pour mettre en œuvre le recyclage du béton avec la possibilité concrète de réduire à terme de 20 à 30 % notre consommation de granulats naturels.
Les ressources naturelles se raréfient. En parallèle, notre parc d’ouvrages, réalisé dans les années 1950, arrive en fin de vie et nécessite une réhabilitation ou un remplacement par du neuf, ce qui a pour effet d’accroître les volumes de matériaux à recycler.
Dans le même temps, les pratiques de construction évoluent. Aussi, au lieu d’utiliser les granulats de bétons recyclés principalement sur des opérations à faible valeur ajoutée (remblais, plates-formes routières…), nous pouvons désormais les valoriser par le haut dans le cadre élargi d’une économie plus circulaire.
Fort d’un important maillage de plates-formes de recyclage en France, notamment autour des grandes villes, il nous faut désormais organiser, structurer l’ensemble de la filière béton afin qu’elle soit en capacité d’absorber cette ressource de matériaux recyclés pour la réutiliser dans les nouveaux bétons.
C’est un enjeu fondamental tant pour la profession que pour la planète.
Quel facteur déclencheur voyez-vous pour la généralisation du béton recyclé ?
Fondamentalement, le granulat de béton recyclé n’est pas moins cher à produire que les produits qu’il remplace (granulats de béton classiques issus de gisements alluvionnaires ou de roche massive). Il n’y a donc pas toujours d’intérêt économique immédiat à l’utilisation des granulats de bétons recyclés.
Le maître d’ouvrage, parce qu’il est le premier prescripteur, est l’acteur-clé qui permettra une généralisation rapide de l’emploi du béton recyclé, en imposant sonutilisation dès le cahier des charges (après avoir vérifié qu’une ressource locale existe).
Il est porteur d’une responsabilité sociétale et écologique forte, au-delà de la construction de son ouvrage. La prise de conscience se fera ensuite au niveau des autres acteurs de la filière par cette incitation des maîtres d’ouvrages. Les pays comme la Suisse, la Belgique et le Royaume-Uni ont réussi cette mutation. A nous, désormais de négocier ce virage ! Maintenant que nous avons la connaissance méthodologique, il nous faut la transformer en volumes et en tonnes.
Les recommandations aux différents acteurs
Le projet Recybeton a publié ses recommandations pour l’utilisation des granulats de béton recyclés à destination des différents acteurs.
Nous vous en proposons ici un extrait. L’ensemble des recommandations détaillées, ainsi que l’étude des 5 chantiers expérimentaux menés dans le cadre du projet, sont à retrouver dans l’ouvrage « Comment recycler le béton dans le béton » édité à l’issu du projet RECYBETON.
Pour plus d’information, rendez-vous sur le site internet du projet : www.pnrecybeton.fr
L’ensemble des résultats scientifiques du projet est rassemblé dans l’ouvrage « Le béton recyclé », disponible en version papier ou en version électronique (téléchargement gratuit sur le site de l’IFSTTAR ou sur ce site).
1.Pour les maîtres d’ouvrages
Améliorer le bilan environnemental des bétons recyclés
En plus de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV), il est nécessaire de la compléter par l’évaluation de nouveaux indicateurs d’impacts (économie en granulats naturels, flux transportés en t.km) et adapter le circuit d’acheminement des matériaux et la formulation.
2.Pour les producteurs de granulats naturels ou recyclés
Production et caractérisation des granulats recyclés
Concernant la caractérisation et le contrôle des granulats recyclés, il est recommandé de respecter les exigences propres aux granulats recyclés pour béton des normes NF EN 12620 et NF P 18-545, avec les ajustements suivants :
- lorsque le béton est soumis à un environnement XF3 ou XF4, chaque lot de GR utilisé doit faire l’objet d’un essai de gélivité
- pour la prévention de l’alcali-réaction, l’utilisation des essais crible est à éviter ; il faut privilégier le bilan des alcalins et / ou l’essai à long terme
- les chlorures solubles doivent être déterminés dans l’eau et non dans l’acide.
Dans le cas de prémélanges de sable ou de gravillon, le taux de mélange doit être indiqué sur la fiche technique du produit.
3.Pour les maîtres d’œuvre concepteurs
Taux de substitution des granulats recyclés et durabilité du béton
Trois préconisations sont à respecter dans le respect des exigences de durabilité :
- prendre en compte un nouveau taux de sulfates plafond pour le granulat recyclé, en limitant plus sévèrement le taux de sulfates pour l'ensemble des granulats de la formule
- utiliser le bilan des alcalins ou l’essai à long terme pour évaluer le risque de développement de l’alcali-réaction d’une formule de béton recyclé
- utiliser des valeurs limites de taux d’incorporation des granulats recyclés supérieures aux valeurs indiquées dans la norme NF EN 206/CN:2014, pour les gravillons recyclés de type 1 ou 2, et pour les sables recyclés présentant une absorption d’eau limitée. Ces valeurs dépendent, pour chaque type de granulat recyclé considéré, de la classe d’exposition du béton et du rapport eau efficace / liant équivalent. Ces valeurs limites sont valables quelle que soit la résistance à la compression du béton.