Ouvrage destiné à fluidifier la circulation routière à l’entrée du port de Vannes, le tunnel de Kérino améliore aussi les liaisons de transports en commun et offre un passage sécurisé aux cyclistes et aux piétons.
Le port de plaisance de Vannes est formé par le chenal de la rivière Marle qui se mêle aux eaux du golfe du Morbihan après son passage sous la porte historique Saint-Vincent. À environ 2 km de cette dernière, au niveau du pont de Kérino, l’entrée du port représente depuis longtemps une source de conflits entre véhicules terrestres et bateaux, surtout en période estivale.
Les deux modes doivent en effet se partager le pont tournant ouvert au gré des marées. Le premier mode, estimé à 17 000 véhicules routiers par jour, pour franchir l’entrée du port et aller d’une rive à l’autre.Le second, quelque 7 500 passages par an, pour entrer ou sortir du bassin à flots. Lorsque le pont de Kérino est ouvert à la navigation, le trafic automobile se déporte sur le cœur de ville. Par ailleurs, l’itinéraire des bus Kicéo l’évite systématiquement en passant par le centre.
Solution retenue donc pour améliorer le maillage des transports en commun au sud et fluidifier la circulation : créer un passage sous-marin se substituant au pont. La décision est prise en 2006. Mais il faudra attendre le 19 octobre 2012 pour que le conseil municipal choisisse le partenaire chargé de l’opération : Vinci Construction France, dont le contrat de Partenariat Public-Privé s’étend jusqu’en 2040. La conception démarre dès novembre 2012 et les travaux en octobre 2013. Ils sont prévus sur deux ans, avec une livraison programmée pour octobre 2015. Des difficultés techniques la repoussent à l’été 2016.
Tunnel routier et « voie douce »
Situé à une cinquantaine de mètres en aval du pont, l’ouvrage souterrain comporte deux espaces de circulation, vidéosurveillés et avec Détection Automatique d’Incident (DAI). Les voitures, les deux-roues motorisés, les bus et les poids lourds ont leur propre tunnel. Les cycles et les piétons le leur, parallèle : une « voie douce » aménagée avec différentes séquences d’ambiance et d’éclairage. Avec deux nouveaux giratoires et leurs rampes d’accès à 6 %, les nouvelles voies routières sont longues de 580 m, dont 250 m souterrains.
En partie sous l’eau, un « exploit » rendu possible grâce au béton, l’ouvrage est un caisson large de 17,20 m à l’extérieur, de 15,20 m à l’intérieur, avec un gabarit de 4,60 m autorisant l’accès à tous les camions, ceux transportant des matières dangereuses en étant toutefois exclus. La partie route, comportant une voie pour chaque sens, est large de 10,20 m avec un terre-plein central de 2,10 m permettant le cas échéant aux véhicules de secours de l’emprunter. La séparation entre la zone routière et celle de 4,50 m dédiée aux modes doux est constituée d’une cloison composée d’une assise de béton surmontée d’un mur en blocs de béton (parpaings). Le tunnel n’atteignant pas les 300 m de longueur, selon la législation, cette séparation totale n’était pas obligatoire, mais elle a cependant été retenue pour apporter plus de confort aux piétons et aux cyclistes.
L’aspect le plus contraignant du chantier a été de garder en permanence l’accès au port de plaisance. Un impératif qui a impliqué la réalisation du tunnel, à l’abri de batardeaux, en plusieurs phases. Tout d’abord, après création d’un chenal provisoire de navigation, mise en place du batardeau en rive ouest pour construire la première moitié du tunnel. Puis, installation des parties terrestre et nautique du batardeau en rive est pour la réalisation de la deuxième section. Un batardeau central de jonction étanche a ensuite permis de relier les deux parties de tunnel déjà réalisées, le chenal de navigation définitif, offrant un tirant d’eau de 2,50 m à mi-marée, pouvant alors être rétabli. « Nous avons fait du terrassement traditionnel à ciel ouvert à l’abri de ce batardeau constitué de palpieux et de palplanches pour les rideaux, ainsi que de micropieux (réalisés en coulis de ciment à l’intérieur de chaque palpieu), et de tirants d’ancrage. Techniquement, sa réalisation a vraiment été très spécifique », explique Guillaume Gudefin, directeur travaux chez GTM ouest. « Le batardeau est relativement long. Il est large avec ses 27 m. Il est suspendu et n’a que trois côtés à chaque fois et cela a son importance puisque les efforts à reprendre étaient compliqués. »
La rencontre avec un granit très dur
Dès le démarrage du chantier, une difficulté majeure est apparue : la rencontre d’un granit très dur. « La dureté de la roche nous a empêchés de battre et de descendre correctement les palplanches. Ajoutée à une perméabilité excessive de cette roche, que les sondages n’avaient pas révélée, l’étanchement du batardeau a été rendu complexe. Dans une cavité où 500 litres de coulis devaient être injectés, nous en mettions jusqu’à 6 m3 sans mise en pression ! Nous avons donc dû modifier la technique d’injection, ce qui a considérablement allongé la durée du chantier ! » Lors de la construction de l’ouvrage, l’une des contraintes fortes a été le peu d’espace laissé en partie supérieure par les butons, indispensables pour consolider et maintenir l’écartement entre les parois des batardeaux. Les quatre petits mètres libres entre deux de ces pièces successives compliquaient en effet les manutentions à la grue à tour, ce qui a conditionné la méthode de construction. « Les 250 m de l’ouvrage sont scindés en 25 plots de 10 m, soit 25 radiers, 50 voiles et 25 traverses supérieures. D’une épaisseur de 1 m, le radier est en fait une succession de cages d’armatures métalliques, déposées à la grue, avant coulage du béton au rythme d’un plot tous les deux jours », poursuit Guillaume Gudefin.
Des outils spécifiques pour le chantier
Pour s’adapter à ce manque d’espace et faciliter les manutentions, GTM a développé des outils spécifiques. Un basculeur pour monter à l’horizontale les armatures des voiles à l’avancement, puis les relever ensuite, sécurisant ainsi les conditions de travail. Autres outils, deux portiques, un de chaque côté de l’ouvrage, tirés par des treuils pour éviter la manutention des banches des voiles à la grue à tour.
« Pour réaliser ces voiles, nous avons ajouté des poutres treillis derrière les coffrages afin de les rigidifier sur les 5,50 m de hauteur et ainsi supprimer les tiges de maintien des banches. Les potentielles arrivées d’eau par les trous de banches dans l’ouvrage ont ainsi été limitées. » Pour créer les traverses, coulées au rythme d’une tous les trois jours, une table coffrante a été développée permettant la mise en place des armatures, indépendamment du coulage des traverses. À noter que le radier a une largeur totale de 19,20 m. Ce mètre supplémentaire extérieur de chaque côté assure une assise complémentaire de l’ouvrage, la zone étant remblayée entre le radier et les palplanches qui seront découpées au niveau de la partie supérieure du tunnel. Un dispositif qui assurera une protection supplémentaire en cas de choc de bateau. Côté est, sur le « toit » de l’ouvrage, l’entreprise réalise aussi une cale de mise à l’eau des bateaux, ainsi qu’une jetée longue de 30 m.
À cet endroit, même lors des plus faibles coefficients de marée, il subsistera toujours 1 m minimum d’eau. Le coût de l’opération atteint 76 millions d’euros. Il englobe la construction du passage inférieur, son entretien pendant 25 ans, la création de parkings, le dragage du port, l’aménagement d’une ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement) permettant la valorisation des sédiments, les aménagements paysagers.
Un béton adapté au milieu maritime
La formulation des bétons de structure pour les voiles et la traverse supérieure du tunnel, fournis par deux centrales, Eqiom et Lafarge, situées à Saint-Avé, non loin de Vannes, s’est avérée complexe. Très spécifique et très technique, c’est un béton de classe de résistance C35/45, de classe de chlorure 0,2 et de classe d’exposition XS3 (milieu maritime agressif) en conformité avec la norme NF EN 206/CN. Bien que sa longueur inférieure à 300 m ne permette pas de le considérer comme un « vrai » tunnel, le béton choisi offre une résistance au feu de niveau N3 (la plus contraignante), grâce à l’adjonction de fibres polypropylènes (1,2 kg par m3). Les essais de résistance au feu ont été réalisés au CERIB (Centre de Recherche de l’Industrie du Béton) où des échantillons de béton mis en œuvre pour le tunnel de Kérino ont été soumis à une température de 1 400° pendant deux heures dans le four Prométhée. Les caractéristiques du béton du radier sont identiques, mais il ne contient pas de fibres.
Respecter l’environnement
Valoriser et respecter l’environnement naturel du site, tels ont été les objectifs suivis lors de la construction du tunnel. Les sédiments extraits hydrauliquement lors de l’opération de dragage ont été acheminés par conduites étanches jusqu’à un site de transit et de valorisation des bassins de Tohannic, un lieu-dit proche du chantier. Vasière et haie, des éléments naturels sensibles, ont fait l’objet d’un suivi lors des travaux. De nouvelles plantations vont valoriser les espaces et participer à l’intégration de l’ouvrage.
Chiffres clés
Longueur : 250 m
Terrassements : 82 000 m3
Béton : 17 500 m3
Armatures : 2 200 tonnes
Coût : 76 millions d’euros
Reportage photos : Michel BARBERON et Frédéric HENRY
Contrat de Partenariat Public-Privé : Entre la ville de Vannes et la SPIK (Société du passage inférieur de Kérino), détenu par Vinci Construction France et des financeurs – Conception et réalisation : assurées par le groupement Ingérop (maître d’œuvre-concepteur des structures) ; Enet-Dolowy (architecte-urbaniste) ; Antea Groupe (bureau d’études pour les fonds de la rivière) – Sous-groupement réalisation : composé de Cofely-Ineo et GTM Ouest, mandataire général – Autre contrat d’exploitation : concernera la maintenance jusqu’en 2040, année au cours de laquelle Vinci rétrocédera le tunnel à la ville.