Avec une matrice identique, la variation des pleins et des vides offre une identité propre à chaque plot.

Lorsqu’un fleuve traverse une ville, il scinde le territoire en deux entités. À Bordeaux, la rive gauche prime depuis toujours. La commune s’y est développée, forte de ses plus beaux monuments et quartiers qui en font l'image et la réputation. La rive droite, accessible pendant longtemps par le seul pont de Pierre, était perçue comme peu engageante, marquée par son caractère industriel. 

Depuis quelques décennies, le vent tourne. La Bastide, le quartier le plus ancien de la rive droite, proche du pont de Pierre, a été le premier à connaître une profonde transformation. La création du pont Chaban-Delmas, inauguré en 2013, a permis de désenclaver plus largement la rive et ouvert le champ des possibles. L’aménagement du quartier Brazza poursuit cette reconquête de la rive droite. Il vise à recycler une ancienne friche industrielle et à créer sur 24,5 ha un lieu de vie paysager comprenant 40 % d’espaces en pleine terre. Depuis peu, les premières constructions sont sorties de terre et matérialisent ce que sera ce quartier dans quelques années, alternant zones compactes et surfaces végétalisées.

Les trois bâtiments de la résidence créent une séquence urbaine homogène.

Front compact

Les deux bâtiments de logements conçus par l’agence Philippon-Kalt en font partie. La position en bord de Garonne leur insuffle un rôle particulier. Ils participent d’une séquence en front de fleuve qui peut être perçue de loin et signale la présence du quartier notamment depuis l’autre rive. Faisant fonction de vitrine, l’opération s’est conformée à un certain nombre de directives déterminées par l’urbaniste en charge, l’agence YTAA, la Métropole et le maître d’ouvrage. Afin d’intégrer les enjeux de ce contexte particulier, les immeubles devaient créer une séquence cohérente avec les autres éléments bâtis, tout en permettant une identification claire de chacune des trois constructions. Organisés en plot, ils ont une hauteur différente et leur conception a été répartie en deux lots. 

Les constructions situées en bord de Garonne forment un front compact visible de loin.

Le bâtiment en R+13 a été réalisé par l’agence Leibar Seigneurin Architectes alors que les deux plots en R+6 et R+7 sont l’œuvre de l’agence Philippon-Kalt. Cette dernière a réussi à proposer deux constructions dont les façades relèvent le défi de leur perception lointaine tout en prenant en compte les multiples contraintes inhérentes au site et à leurs commanditaires. 

Chaque façade exprime un mode d’habiter, ici les loggias prolongent le séjour.

Identité urbaine

Pour répondre au désir du maire de Bordeaux de l’époque et s’inscrire en harmonie avec la palette de matériaux et de teintes proposée par l’urbaniste du quartier YTAA, les façades en béton clair intègrent des granulats aux teintes chaudes sable et grège qui font écho aux tonalités du centre-ville surnommé « la ville blonde ». Il aura fallu de nombreuses réunions de concertation pour définir la typologie des bâtiments, leur implantation et les matériaux employés.

Cette quête a abouti à la création d’une matrice inspirée des constructions à ossature métallique rappelant le passé industriel du site. Réalisée en béton, elle comprend des poteaux de 40 cm qui créent une résille à géométrie variable. Le jeu de différenciation des façades exprime les spécificités de chaque bâtiment. En résulte une variation des pleins et des vides correspondant aux deux modes d’habiter proposés et notamment au positionnement différencié des loggias, accolées latéralement au salon ou situées dans son prolongement. Plus globalement, les quatre côtés des constructions sont conçus comme des façades principales. Si les étages sont dédiés à l’habitation, le rez-de-chaussée est réservé aux locaux d’activité et de service. 

La compacité des constructions dégage de la surface en cœur d’îlot convertie en jardin.

Habitat évolutif

Côté logements, la qualité d’usage a dicté leur conception. Quelle que soit leur surface, ils bénéficient tous d’une loggia d’une profondeur de 1,80 m. Mis à part les deux-pièces, tous les appartements profitent d’une double, voire d’une triple orientation facilitant le confort d’été. Autre point fort, la recherche de flexibilité et de réversibilité. Les espaces sont conçus pour s’adapter à l’évolution des besoins, à commencer par les loggias qui peuvent être fermées par des panneaux vitrés pour agrandir le salon ou créer un jardin d’hiver. Une réflexion particulière a été portée sur les T3 et les T4. Les cuisines peuvent se clore pour être indépendantes des séjours. La surface et la morphologie des séjours, ainsi que la position des baies, permettent de modifier la partition de l’espace de manière à créer une pièce en plus, chambre ou bureau, en fonction de l’évolution de la structure familiale. 

Les façades de béton grège sont rythmées par le matriçage des impostes.

Autre spécificité de l’opération, son programme d’habitat intergénérationnel intégrant un espace commun nommé « maison des projets ». Installée dans le plot central, elle occupe une partie du premier étage. Ouvert à tous, ce dispositif, initié par Eiffage en collaboration avec Récipro-Cité, a pour but de créer du lien social, de permettre aux habitants de se connaître, de promouvoir l’entraide et de faciliter le bien-vieillir. 

Gérée pendant les deux premières années par Récipro-Cité, la maison des projets est désormais aux mains d’une association, À Brazz’Ouverts, créée pour poursuivre ces actions et faire vivre un quartier en pleine mutation.  

Pertinence constructive

Côté structure, l’enjeu consistait à produire un bâtiment performant et pérenne. La solution adoptée ? Une approche rationnelle permettant de maîtriser les coûts. C’est dans cette optique que le béton a été choisi. Utilisé pour réaliser l’ossature autant que les façades qui deviennent ainsi porteuses, il réduisait d’emblée la complexité de l’ouvrage et le nombre de matériaux employés. 

Le regroupement des deux derniers étages intègre des duplex contribuant à l’élancement des bâtiments.

Le travail de simplification s’applique également aux coûts de structure, optimisés par la superposition des typologies de logements et de loggias. Si le projet ne présente pas de réelles difficultés techniques en termes de structure, trouver la teinte des façades a nécessité de nombreux essais pour arriver à un ton validé par tous. 

Au final, le béton a été légèrement teinté dans la masse. Par sa tonalité grège chaude, ni trop jaune ni trop claire afin de ne pas risquer d’éblouir, et sa minéralité, il fait écho à la pierre blonde des façades XVIIIe siècle des quais de la rive gauche. Les architectes souhaitaient que l’ensemble des ouvrages en béton soient coulés en place, de manière à obtenir un matériau brut et vivant, marqué par les irrégularités de surface et variations inhérentes à ce mode de production artisanal.

Les surfaces des toitures sont aménagées en terrasses privatives.

Pérennité assurée

D’un point de vue environnemental, plusieurs points peuvent être soulignés et notamment la compacité des volumes qui offre un double avantage. En réduisant l’emprise au sol, elle augmente les surfaces de pleine terre. En minimisant la surface de l’enveloppe, elle limite les déperditions. L’isolation est intérieure. Ajoutée à l’inertie des façades en béton, elle permet aux bâtiments de respecter la RT 2012 moins 10 %. 

Les loggias attenantes au séjour peuvent être transformées en jardin d’hiver.

Pour limiter les charges des habitants, les cages d’escalier sont éclairées naturellement. Le terrain étant classé en zone inondable dans le Plan de prévention des risques naturels d’inondation (PPRI), le rez-de-chaussée ne comprend aucun logement. Le niveau des locaux d’activité qui s’y trouvent respecte la cote de seuil, alors que le local à vélos est transparent aux crues grâce à sa façade partiellement ajourée qui laisse l’eau s’écouler librement. 

Dernière particularité, les deux toitures aménagées en terrasses privatives : elles offrent aux voisins surplombant l’opération une cinquième façade agréable à regarder tout en offrant aux habitants des espaces extérieurs privilégiés avec vue panoramique sur le fleuve. 

Localiser la réalisation

 Reportage photo : © Sergio Grazia

Fiche technique

  • Maître d’ouvrage : Eiffage immobilier Sud-Ouest
  • Maître d’œuvre : Philippon-Kalt Architectes ; Odile Lesassier, chef de projet
  • BET TCE : Eiffage
  • Entreprise générale : Eiffage construction Nord-Atlantique
  • Surface : 5 079 m2 SDP (4 461 m2 logements, 617 m2 commerces)
  • Coût : 5,4 M€ HT
  • Programme : 65 logements dont 19 sociaux, une salle commune gérée par l’AMU Récipro-Cité, 2 locaux d’activité.



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