Le développement des villes au XXesiècle touche à ses limites. L’étalement urbain réduit les surfaces cultivables et dégrade la qualité de vie des habitants avec des temps de déplacement interminables. De ce point de vue, la construction souterraine, à laquelle les hommes ont toujours eu recours, fait partie des solutions pour densifier les villes. Le béton est le matériau privilégié de ces mutations. Entretien avec Jean-Pierre Palisse, directeur opérationnel de Ville10D, Projet National de recherches appliquées sur la contribution du sous-sol au développement urbain durable.
Quels avantages offrent la construction souterraine ?
Jean-Pierre Palisse :La pratique de l’utilisation du sous-sol est ancienne dans les villes, songeons à Paris où les grands réseaux de canalisations, d’assainissement et de transports remontent au XIXe siècle. Mais la construction souterraine était principalement destinée aux infrastructures, et de ce fait, ignorée, cachée. Les enjeux actuels remettent ce sujet à l’ordre du jour. Pour les grandes métropoles, l’intérêt est de concentrer et densifier le bâti pour rapprocher les divers aspects qui font une ville, l’activité économique, les lieux de vie et les transports. De ce point de vue, la construction souterraine permet d’aménager des mètres cubes tout en conservant un espace ouvert en sur sol.
Outre les infrastructures, comment et à quoi peuvent servir les souterrains ?
Certains pays ont entamé le mouvement dès la seconde moitié du XXe siècle, songeons aux grandes villes canadiennes avec leurs centres souterrains reliés aux réseaux de transport. Chez nous, le climat tempéré rend cette solution moins tentante à priori, mais on a néanmoins vu se développer d’autres usages que le transport et les infrastructures.
Ainsi, la diversité fonctionnelle du sous-sol tend à s’élargir en mêlant commerces, services, centre d’affaires et lieux de spectacles connectés aux réseaux de transport. Cela peut concerner les musées. A Paris, le Carrousel et la Pyramide du Louvre illustrent la possibilité d’étendre le patrimoine des grands musées. Mais les gares sont aussi concernées, comme par exemple, la récente rénovation des Halles ou le centre commercial à la gare Saint-Lazare. Enfin le stockage, la logistique, les data centerstrouvent aussi leur place dans cette réflexion. Prenons, là encore, l’exemple de Paris, qui voit la création des centres de logistiques urbains aux portes de la capitale.
Quels sont les obstacles à une utilisation plus intense du sous-sol ?
Le plus évident est, bien-sûr, le manque de lumière naturelle. Les gens disent « nous ne sommes pas des taupes ». Pour quelques heures au musée ou au magasin, ce n’est pas gênant, mais pour des usages plus prolongés, cela peut s’entendre. Toutefois, on peut contourner cette crainte en créant des puits de lumière, des aménagements lumineux et en soignant l’architecture et l’atmosphère avec la présence de végétaux.
Le second écueil tient à la sécurité, à six mètres sous terre, les conditions de mise en sécurité sont peu ou prou les mêmes qu’en surface, les évacuations et les interventions sont faciles. A 50 mètres, les conditions sont tout autre, les précautions à prendre pour évacuer les gens ou les mettre en sécurité rapidement sont importantes, il faut, par exemple, prévoir des salles d’attente sécurisées, laissant le temps aux pompiers d’intervenir en cas de sinistre.
Les obstacles sont-ils donc principalement techniques et psychologiques ?
Pour partie seulement, une autre difficulté tient à l’empilement des législations et des règlementations, comme par exemple, celles concernant les Etablissements Recevant du Public (ERP), le code du travail et les prescriptions des services de secours. Il y a une cruelle absence de références et de base de données communes concernant le sous-sol, à l’instar de notre cadastre en surface, qui unifieraient les données du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), celles des réseaux de transports, des parkings ou des réseaux d’eau.
Cet empilement et ce flou constituent une source de complexité qui peut s’avérer dissuasive dans la mise en pratique. C’est pourquoi Ville 10D travaille avec les services de la Préfecture de Paris et les pompiers pour apporter des réponses concrètes, tout en développant en parallèle des outils numériques 3D afin d’interconnecter les différents niveaux et offrir un plan de référence commun du sous-sol.
Quel place tient le béton dans cette perspective ?
Le béton est le meilleur matériau pour la construction en sous-sol. Il est le plus intéressant car il est stable et, modelable, il peut s’adapter à des formes très diverses. Son inconvénient est, du fait de sa solidité, qu’une fois en place, il n’offre que peu d’évolutivité. Avec une structure figée, changer les usages et adapter les lieux peut rendre les coûts excessifs. Mais cet inconvénient est tout à fait gérable techniquement à la condition de mener, en amont des projets, une réflexion pour une conception structurelle permettant des mutations futures. Par exemple, dans les projets d’aménagement pour connecter gares et nouveaux quartiers, on doit permettre à ces espaces d’évoluer dans le temps suivant les usages.
Quels sont les projets marquants en cours, ou récents, en Europe ou dans le monde ?
Les villes asiatiques sont très engagées, telle Tokyo avec sa gare centrale. A Singapour, on réfléchit beaucoup pour élargir les fonctions urbaines au sous-sol. En Europe, les villes du nord ont aussi engagé la réflexion. Helsinki, en Finlande, qui dispose d’un sous-sol favorable par sa géologie pour aménager la ville, a établi un schéma directeur pour son usage urbain.
Et demain, vivre en sous-sol ?
Habiter en sous-sol est possible et a déjà été fait, à l’image des villages troglodytes en Val de Loire. Techniquement, la croûte terrestre est suffisamment épaisse pour donner des marges de manœuvre. Vivre en sous-sol est une utopie mais il ne faudrait pas perdre d’esprit la réalité. Il y a beaucoup de solutions pour utiliser au mieux les volumes existants de façon efficace et attractive. Les grandes opérations d’aménagement, comme la réalisation des gares du métro du Grand Paris, sont l’occasion de réfléchir aux nouveaux usages dès les phases de conception, avec une vision large et à la condition que chaque opérateur sorte de son pré carré.
Quelles actions Ville 10D mènent-elle en faveur de la construction souterraine ?
Ville 10D est un Projet National de recherche financé par l’Etat avec pour objectif de promouvoir un meilleur usage des espaces souterrains, peu usités ou insuffisamment aménagés. Avec une trentaine de partenaires : laboratoires universitaires de recherche, entreprises, bureaux d’études et maîtres d’œuvre ; nous agissons pour dégager des idées et diffusons les bonnes pratiques pour apprendre à travailler de concert aux maîtres d’œuvre, aux aménageurs, aux entreprises et aux services de l’Etat. Mais nous travaillons également sur des projets concrets et collaborons, par exemple, à la réflexion sur les aménagements à venir sur le site de la Défense, de la gare Pleyel pour le Grand Paris Express et à Val de Fontenay.
M. Palisse était interviewé par M. Bardinet pour notre compte et n'a jamais travaillé chez nous. Nous vous recommandons d'aller voir sur le site https://www.ville10d.fr/ si M. Palisse fait toujours partie de cet organisme, pour lui poser directement votre question. Bien à vous, l'équipe Infociments
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