Par sa silhouette imposante habillée d’un béton architectonique strié, le nouveau bâtiment des archives départementales de l’Isère apparaît monumental et mystérieux.
Implanté à la lisière du campus universitaire « à l’américaine » de Grenoble-Alpes, qui allie une architecture moderne à de grands espaces arborés, le bâtiment des nouvelles archives départementales de l’Isère (ADI) résonne avec le paysage alentour des massifs de Belledonne, du Vercors et de la Chartreuse. Sur une emprise de 90 m de longueur par 54 m de largeur, il s’élève sur 25 mde hauteur en quatre monolithes massifs habillés de parois de béton straté, coloré, matricé et sablé qui évoquent les falaises de la Chartreuse. Ils sont disposés autour d’une croix de circulation.
Un trait d’union spatio-temporel
Le choix de sa localisation répond à la nécessité d’un équipement plus grand et plus adapté que celui où les archives étaient installées depuis 1958, pour accueillir dans 56 magasins jusqu’à 70 km linéaires de documents d’archives – le plus ancien date de l’an mil –, sachant qu’il en existe déjà 39 et que 31 sont attendus dans les années à venir. Une extension de 18 magasins est déjà prévue au-dessus de la zone des parkings afin de garantir la pérennité de l’équipement.
À seulement 3 km du centre-ville de Grenoble, les nouvelles archives départementales bénéficient d’accès efficaces, tant en transport en commun – plusieurs lignes de tram desservent le campus – que par la route. En outre, premier service public à s’installer dans cette zone en mutation, elles créent un lien jusque-là inexistant entre la ville de Saint-Martin-d’Hères et le domaine universitaire. « Elles correspondent à la volonté politique d’assembler des ressources intellectuelles en limite de campus », rappelle l’architecte Jean-Philippe Charon, faisant écho aux propos du président du département. L’utilisation de l’outil Building information modeling (Bim) a permis à tous les acteurs du projet de s’y projeter et d’en comprendre la conception.
Une architecture des contraires
Les archives départementales assument une double vocation : celle de conserver et protéger, dans des salles aveugles, des documents fragiles qui représentent la mémoire écrite du département (versements des différentes administrations, juridictions, études notariales, organismes publics), ainsi que des archives privées intéressant le département et celle d’un lieu culturel qui accueille du public, dédié à la recherche et à la connaissance et qui, ici, participe à la requalification du quartier. Un auditorium accessible de manière autonome côté ville permet justement d’élargir les missions des archives. L’alliance de ces deux fonctions a priori antinomiques s’incarne en quatre blocs compacts et massifs de cinq étages, « posés » sur une casquette et soulevés par un socle vitré : le lourd repose sur le léger grâce aux poteaux en V en béton C50 – une qualité proche du Génie Civil –, lasuré légèrement brillant, dont la forte présence caractérise les halls. Le débord accueille des terrasses végétalisées sur lesquelles donnent les bureaux du premier étage. La rue intérieure qui relie le campus au nord et la ville au sud sépare aussi les espaces ouverts au public, concentrés dans l’aile est, de ceux réservés au personnel où sont traités les documents, situés dans l’aile ouest. À l’opposé des façades aveugles des quatre blocs, l’immense atrium central de 20 m de hauteur qui les réunit, éclairé latéralement en second jour et zénithalement, donne à lire l’ensemble des fonctions du bâtiment. Les passerelles et coursives d’accès aux différents étages des magasins donnent sur ce volume monumental, laissant percevoir l’activité des personnels qui y circulent. Depuis le premier étage, à travers la salle de réunion, le personnel peut profiter d’une vue plongeante sur le rez-de-chaussée, les salles de consultation étant entièrement vitrées sur l’intérieur comme sur l’extérieur. La « Tour des mémoires », l’œuvre peinte de l’artiste Philippe Cognée dans le cadre du 1 % artistique, accrochée sur le mur nord, apporte encore un autre éclairage sur cet espace. « Les archives départementales de l’Isère jouent d’oxymores architecturaux », nous dit l’architecte, ajoutant que l’organisation structurelle de ce bâtiment complexe est d’une grande efficacité avec ses voiles béton parfaitement superposés et ses poteaux en V.
Écoresponsable et super isolé
Afin d’assurer la préservation des documents, les cinq étages supérieurs exclusivement occupés par les magasins – 46 magasins standards de 200 m2 (20 m par 10 chacun) équipés de rayonnages mobiles ou fixes et 10 spécifiques pour les documents de format et/ou support autres que papier classiques – bénéficient de conditions de température et d’hygrométrie particulières et stables. Les solutions mises en œuvre pour les atteindre jouent notamment sur l’inertie thermique de l’enveloppe. Véritable « manteau thermique » de 1,76 m d’épaisseur, elle est constituée en façade d’un parement extérieur en béton de 18 cm, d’un isolant de 20 cm, d’un mur intérieur autoporteur en béton de 20 cm, d’une lame d’air, qui est aussi une galerie technique, de 90 cm et d’un voile de béton armé de 28 cm. En toiture, une dalle de béton alvéolaire de 41 cm associée à 32 cm de polyuréthane supporte la centrale photovoltaïque qui forme un écran sur 1 200 m2 et contribue ainsi à atteindre les performances visées. Entre les étages, les dalles alvéolaires précontraintes en béton préfabriquées de 10 m de portée reposent sur les murs de refend en béton. Le traitement de l’air en double flux permet un contrôle sur la température et l’hygrométrie. Des ventilateurs de plafond amplifient le brassage d’air et, dans quelques magasins seulement, la climatisation n’a pu être évitée. Dans l’atrium, au niveau des coursives, un système de chauffage-rafraîchissement par des dalles actives et la possibilité d’une ventilation nocturne par les baies vitrées de toiture évitent les chocs thermiques néfastes aux documents quand ils sont déplacés.
Entre roche et sculpture
La modénature et les couleurs du béton de parement confèrent au bâtiment son aspect à la fois sculptural et proche de la roche. Ce parement a fait l’objet d’un soin tout particulier, sollicitant le savoir-faire des entreprises locales qui ont participé à cette aventure : depuis la mise au point des bétons jusqu’à la mise en œuvre de chaque élément par l’entreprise de construction. Les huit teintes du parement résultent d’un savant mélange d’un béton gris et de trois bétons teintés dans la masse – trois ocres différents – et d’un sablage faisant apparaître les granulats (issus de l’Isère). « Nous avons calepiné toutes les bandes et avons demandé à l’entreprise de bouger les planches notamment au niveau des petits joints afin de troubler la lecture de cette modénature singulière. Les coffrages ont été fabriqués spécifiquement par un menuisier », précise l’architecte qui jubile encore du côté exploratoire et collaboratif de cette mise au point, soutenue par la maîtrise d’ouvrage. « Trois prototypes ont été réalisés pour tester le coffrage et le mélange des couleurs avant la consultation des entreprises et cinq autres par l’entreprise choisie. » Les panneaux de façade ont été coulés en place, bloc par bloc et étage par étage, en une succession de toupies qui chacune avait sa couleur.
Fiche technique
Reportage photos : © Studio Érick Saillet
- Maître d’ouvrage : département de l’Isère
- Maître d’œuvre : CR&ON architectes (mandataire), D3 architectes (associé)
- BET structure, fluides : Artélia
- BET paysagiste : Square paysage
- BET acoustique : Altia
- Entreprises gros œuvre : Cuynat (mandataire), SDE (associée)
- Entreprise de préfabrication : KP1 (dalles alvéolaires précontraintes)
- Surface : 16 732 m2 SHON
- Coût : 25,7 M€ HT
Programme : archives départementales, conservation (56 magasins, ateliers de restauration), médiation (salles de consultation, auditorium, salle d’exposition, salles pédagogiques), 2 logements de fonction, parking 40 places, RT 2012 et normes climatiques pour la conservation des archives.