Village, coteaux, place, mer…, selon le niveau auquel on se trouve, le regard évolue.

Avec ses falaises et sa cale naturelle, Arromanches-les-Bains, où les Alliés avaient secrètement prévu l’implantation du port artificiel Mulberry B, occupe une place de choix parmi les sites du débarquement en Normandie. Né d’une intuition de Winston Churchill, ce port témoigne à la fois d’une sidérante prouesse technique et d’une aventure humaine hors du commun. Construits en Angleterre, ses caissons Phoenix, ses quais, ses flotteurs et ses tabliers flottants en béton avaient été acheminés puis assemblés sur place pour préparer le D-Day. Conçus pour durer 3 mois, utilisés pendant 8, leurs vestiges visibles depuis la plage et le musée sont voués à disparaître dans un futur proche, d’où l’importance de ce musée mémoriel qui double la surface de l’établissement précédent ouvert en 1954. 

Haut de 8 m sur 4 m de profondeur, l'auvent en béton de l'entrée a valeur de signal.

Entre ville et mer, l’exosquelette d’un musée-paysage

Entre le tissu urbain pittoresque de cette petite ville normande aux toitures pentues et la grande échelle de l’horizon marin, c’est surtout par une forme de rationalisme que l’architecture résout l’équation de son insertion. Un dispositif muséal élargi d’est en ouest et du nord au sud, entre les falaises et de l’horizon au village, caractérise ce musée-paysage qui s’apparente à un observatoire. Ici, la relation au site, une volumétrie simple et la rigueur constructive sont les points clés. Visible sur ses cinq faces, il diversifie les cadrages et dialogue avec les différentes échelles du coteau, de l’horizon marin et du tissu urbain, multipliant ainsi les regards sur le paysage. 

La position centrale de l'exosquelette de béton définit les deux espaces publics du grand parvis en béton sablé couleur sable micro-désactivé et du jardin qui longe la cale à l'arrière.

À l’ouest, entre ville et plage, la place du 6-Juin-1944 dessine un parvis propice à l’accueil du grand nombre de visiteurs attendu chaque année et de célébrations. Comme la terrasse haute, il offre un point de vue choisi sur les marées dévoilant les vestiges. À l’est, un espace public arboré fait le lien avec la cale et les rues voisines.

Face au parvis, l’auvent d’entrée s’étend sur toute la largeur de cet édifice qui multiplie les percées visuelles entre intérieur et extérieur. Au rez-de-chaussée, l’espace public se prolonge à l’intérieur. Au premier, sur le plateau des collections, cartes et objets dialoguent avec le paysage et, lorsqu’on gagne la toiture, structures, façades, cimaises et projections disparaissent, dans un face-à-face absolu avec le site. 

Façade nord en lien direct avec la mer.

Évitant l’écueil d’une architecture massive et opaque, le béton répond à l’ouverture des salles d’exposition sur le site. Au-delà des atouts d’un montage rapide, la structure en béton préfabriquée en usine a apporté un degré de finition élevé aux poteaux et aux poutres de couronnement délimitant la toiture-terrasse : autant d’éléments ayant valeur d’hommage à l’ingénierie des modules du port artificiel. La robustesse du matériau répond aussi à la rudesse des contraintes climatiques maritimes.

Des poteaux préfabriqués en béton clair composent la périphérie du bâtiment en suivant des trames différenciées. À l’intérieur de l’édifice, une faille longitudinale de 20 m par 4 sur 7 m de hauteur structure le plan de chaque niveau. Au rez-de-chaussée, où une passerelle traverse ce volume en magnifiant le début du parcours, une bande transversale regroupe l’intégralité des circulations verticales publiques. Un film introduit le parcours, qui se poursuit à l’étage face à l’horizon marin et aux vestiges. La visite s’achève par une grande maquette sur le fonctionnement du port à l’été 1944 : caissons brise-lames, navires, vagues, ma-rées, débarcadères, môles, jetées, flux des chars et des militaires, éclairages de signalisation…

La trame entre les poteaux qui est de 4 m face au parvis à l’ouest est réduite à 2 m pour les façades sur mer et sur rue et à 1 m seulement face au coteau.

Dans la partie accessible au public (tranche 1 d’une réalisation en deux phases), des poutres transversales précontraintes de 12 m, implantées tous les 2 m entre la faille et les poteaux des façades nord et sud, libèrent à chaque niveau deux grands plateaux de 360 m2 sans point porteur.

Incitant à une déambulation en périphérie des espaces d’exposition, d’amples circulations adaptées à une fréquentation importante se déploient le long des façades. L’ouverture des salles d’exposition sur l’extérieur s’effectue progressivement au fil du parcours chronologique de l’entrée en guerre à la Libération.

Dans la zone dédiée à la logistique et à l’administration du musée (tranche 2), ce sont des poutres longitudinales, également implantées tous les 2 m, qui relient sur 10 m de portée les circulations verticales à la façade est en offrant un grand plateau de 280 m2 à chaque niveau.

Jeu de lignes verticales et horizontales qui apprivoise le paysage maritime.

Retour sur le chantier

Afin de garantir un vieillissement homogène des façades en dépit des deux phases de travaux successives, tous les éléments préfabriqués ont été réalisés en même temps et stockés en extérieur sur le site de préfabrication. L’air marin mettant les matériaux à rude épreuve, les coffrages adoptés ont permis d’obtenir une surface très lisse, gage de durabilité.

En parcourant la passerelle qui surplombe la faille, le visiteur est immergé dans la scénographie.

Pour mettre au point la méthodologie de chantier et optimiser les interfaces entre les entreprises, un prototype échelle 1 a été monté sur site dès le début des travaux. Cette trame de façade, intégrant 2 poteaux béton de 2 m d’entre axe et l’amorce des planchers bas, a également permis d’étudier le caniveau de pied de façade, la poutre de couronnement où le nom du musée apparaît en négatif et la taille du châssis vitré.

Les poteaux et poutres de couronnement de l’exosquelette ont été préfabriqués en usine. Des poteaux en béton clair de 30 cm par 30 sur 7,8 m de hauteur composent la périphérie du bâtiment avec des variations de trame selon les façades et ce sont des modules de 4 m de long sur 60 cm de hauteur qui forment la poutre de couronnement.

La mise en scène de la maquette dans cette salle ouverte visuellement sur les vestiges contribue à la compréhension de l'Histoire et à l'émotion qu'une telle visite suscite.

Les voiles de la grande faille qui structure les plans et assure un contreventement sont en béton armé banché de 30 cm d’épaisseur, coulés en place sauf quelques prémurs. Des dalles coulées en place forment les planchers bas du sous-sol et du rez-de-chaussée. Ceux des étages sont constitués de prédalles et d’une dalle de compression portées par les poutres.

Dans les grands volumes intérieurs des parties publiques et administratives du rez-de-chaussée, les voiles de 30 cm d’épaisseur coulés en place sont séparés par les circulations périphériques. Leur béton brut de décoffrage devient support des grandes sérigraphies de photographies d’époque, des projections vidéo et des peintures au pochoir de la signalétique. Les granulats sont issus de carrières et de filières de recyclage locales. Des réservations de 3 cm par 3 en sous-face des poutres précontraintes des espaces d’exposition ont permis d’y loger les rails de l’éclairage muséographique.

Coupe longitudinale

Si le béton joue de sa diversité d’aspect, tantôt lasuré, teinté, matricé, planché, brut, bouchardé, incrusté…, un fini soigné des éléments préfabriqués extérieurs était une nécessité. Par souci de pérennité de ces ouvrages soumis à l’air marin, de l’oxyde de titane a été intégré au béton B5 pour stabiliser dans le temps sa teinte gris clair. L’enrobage des aciers a été porté à 5 cm et un bouche-pore mat incolore a été appliqué.

Cette réalisation n’a fait l’objet d’aucune certification environnementale mais des savoir-faire locaux et une main-d’œuvre régionale ont été sollicités. La préfabrication de la structure s’est déroulée à moins de 25 km du chantier du musée et 13 des 16 entreprises de construction sont locales.

Pour partager l’Histoire entre toutes les générations, ce nouveau musée dialogue avec le site du Débarquement en conjuguant des outils pédagogiques et de monstration destinés à tous les publics.

Localiser la réalisation

 Reportage photo : © Antoine Cardi

Fiche technique

  • Maître d’ouvrage : commune d’Arromanches-les-Bains
  • Maître d’ouvrage délégué : Shema 
  • Maître d’œuvre : Projectiles, architectes/scénographes 
  • Paysagiste : Emma Blanc 
  • BET TCE : TPFi 
  • Entreprise gros œuvre et préfabrication : CMEG ; KP1 (poutres précontraintes) ; Rector (prédalles)
  • Surface : 2 220 m2 SDP 
  • Coût : 8,5 M€ HT 
  • Programme : aménagements paysagers, architecture et scénographie du musée.



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