Façade sud d’entrée destinée au public. elle est précédée d’un parvis qui contribue au caractère solennel du palais de justice.

Depuis une quinzaine d’années, la ville de Caen a entamé une métamorphose urbaine. Le déclin de ses activités industrialo-portuaires lui a donné l’occasion de récupérer la presqu’île de Caen, une immense friche située en son centre. Dès le début des années 2000, un projet de renouvellement urbain est confié à l’agence d’architecture et urbanisme Panerai & associés et au bureau d’études en urbanisme Avant-Projet. Son périmètre s’étend sur une centaine d’hectares autour de la pointe de la presqu’île, à mi-chemin entre la gare et le centre-ville, où doit se développer un quartier de vie. Alors que sa réalisation est en cours, il est absorbé dans un schéma de développement plus vaste de Caen Normandie Métropole, confié en 2013 à l’agence néerlandaise MVRDV : Caen-Presqu’île concerne désormais 600 hectares et sa réalisation doit se dérouler sur plusieurs décennies. La presqu’île en demeure la pièce maîtresse et sa pointe un centre d’attractivité.

Le palais de justice prend place sur la pointe de la presqu’île comprise entre le canal, le bassin Saint-Pierre et le chenal Victor Hugo, est bordé au nord par le chemin de halage qui, 15 km plus loin, rejoint la mer ; la zone est inondable. Il fait face à la bibliothèque multimédia à vocation régionale (BMVR), conçue par OMA/Rem Koolhaas architectes, dont il est séparé par une vaste pelouse de 2 hectares.

Angle sud-ouest. expression d’une justice égalitaire, les quatre façades sont quasi identiques. la colonnade en béton claire joue comme des ventelles plus ou moins ouvertes suivant le point de vue adopté.
Angle sud-ouest. expression d’une justice égalitaire, les quatre façades sont quasi identiques. la colonnade en béton claire joue comme des ventelles plus ou moins ouvertes suivant le point de vue adopté.
Façade nord sur le canal. Le choix de matériaux pérennes et le soin de leur mise en œuvre participent de l’image du palais. entre les fines colonnes de béton, la double peau vitrée assure un tampon thermique.
Façade nord sur le canal. Le choix de matériaux pérennes et le soin de leur mise en œuvre participent de l’image du palais. entre les fines colonnes de béton, la double peau vitrée assure un tampon thermique.

Pour plus de sérénité

Réalisé dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP), ce nouveau palais de justice rassemble le tribunal de grande instance pénal et civil (TGI), le tribunal d’instance (TI) et le tribunal pour enfants jusque-là éparpillés sur plusieurs sites, dans des bâtiments de moins en moins adaptés. Cent soixante-dix personnes y travaillent et en moyenne trois cents personnes par jour y sont accueillies. Comme le souligne Marie-Christine Leprince-Nicolay, la présidente du TGI : « La justice a beaucoup évolué de même que les normes. Aujourd’hui, l’accueil et la prise en charge du justiciable s’effectuent à travers un guichet unique de greffe (Gug) par des personnes qualifiées à même de renseigner et d’orienter. Un renforcement conséquent de la sécurité se traduit par des circulations dédiées et un contrôle systématique à l’entrée. Enfin, la prise en compte du confort et des conditions de travail du personnel est désormais acquise. » Elle ajoute : « Si, au départ, l’idée de changer de lieu de travail fut un peu difficile à accepter pour certains, le fait d’avoir suivi le déroulement du projet leur a permis de se l’approprier et de l’adopter. Les personnels ont pu suggérer des améliorations en cours de réalisation dont l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij) a tenu compte. »

L’atrium amène la lumière au cœur du bâtiment et, par ses ouvertures en partie haute, participe à sa ventilation naturelle.
L’atrium amène la lumière au cœur du bâtiment et, par ses ouvertures en partie haute, participe à sa ventilation naturelle.

D’inspiration grecque

Sur une emprise carrée de 45,7 m de côté, le palais de justice s’élève à 18 m de hauteur sur 4 étages dans un tissu urbain très lâche. Il n’occupe qu’une partie du terrain dont la clôture dessine le contour. La forme géométrique et compacte du bâtiment répond aussi aux exigences de performances énergétiques de la RT 2012. Il présente 4 faces identiques rythmées par le pas des poteaux en béton blanc qui forment une colonnade verticale.

« Nous avons puisé dans l’histoire par une évocation du temple grec, un archétype ancré dans l’imaginaire collectif, avec une réinterprétation du péristyle », explique l’architecte Pierre Champenois. « Le plan carré et les quatre façades identiques correspondent à l’idée de stabilité et d’impartialité de la justice. » Et l’architecte Anne Speicher, directrice de l’agence parisienne baumschlager eberle, de compléter : « Il s’agissait de retrouver la symbolique d’un palais de justice et d’affirmer l’importance de la dimension publique de l’institution. »

La colonnade est interrompue au deuxième niveau par l’encorbellement de la salle des pas perdus, entièrement vitrée, qui met en scène l’activité publique du palais de justice. Ainsi, l’architecture exprime la solennité de l’institution, mais aussi la volonté d’ouverture et de transparence correspondant aux valeurs démocratiques. Depuis l’extérieur, on aperçoit le mouvement des robes noires et du public devant les salles d’audience. Depuis l’intérieur, on embrasse le site d’un regard, ce qui permet de se repérer de manière immédiate en s’appuyant sur le paysage environnant.

Salle d’audience dans laquelle les espaces sont clairement identifiés par l’estrade en bois du jury, le box des détenus, le pupitre et les assises des parties en présence, et les bancs en aluminium pour le public.
Salle d’audience dans laquelle les espaces sont clairement identifiés par l’estrade en bois du jury, le box des détenus, le pupitre et les assises des parties en présence, et les bancs en aluminium pour le public.

Une organisation complexe et rationnelle

Avant d’accéder à la salle des pas perdus que l’on aperçoit de loin, il faut traverser le parvis qui borde la façade sud, franchir la colonnade et passer par le hall d’accueil où se trouve le guichet unique de greffe. Chaque visiteur est orienté vers les étages exception faite de quelques services – bureau d’exécution des peines (Bex), aide juridictionnelle, nationalités, pacte civil de solidarité (Pacs) – répartis de part et d’autre de l’entrée.

Le caractère monumental et abstrait des façades disparaît au profit d’une ambiance chaleureuse apportée par l’habillage en bois des murs qui s’ouvrent à l’endroit des guichets. Cette première séquence, resserrée autour d’une rue intérieure, débouche sur un atrium couvert d’une verrière : un volume circulaire toute hauteur placé au centre de l’édifice. Véritable puits de lumière, sa paroi est constituée d’une série d’anneaux horizontaux à raison de 3 par niveau qui brouille la perception des étages et agit comme une enceinte acoustique. Il contient un arbre et l’escalier à double révolution qui mène au premier étage où se trouvent les salles d’audience : 7 petites au sud et 6 grandes en double hauteur entourées par la salle des pas perdus qui permet de faire la ronde de l’étage en profitant de la vue en belvédère sur le site ; cet espace d’attente et de circulation est suspendu au sens propre et figuré. Afin de préserver la confidentialité des salles d’audience tout en assurant un éclairage naturel, les murs de séparation avec la salle des pas perdus sont en verre translucide.

De surface réduite par la double hauteur des grandes salles d’audience, le deuxième étage est occupé par le tribunal pour enfants au sud. Au troisième étage, se trouvent les bureaux du TGI et au quatrième ceux du TI. Les deux derniers étages s’organisent de manière similaire avec deux couloirs en boucle séparés par des sas : une circulation réservée au personnel dessert les bureaux répartis pour une grande part en façade ; une circulation intérieure accessible aux visiteurs reçus dans les salles d’audience spécifiques situées autour de l’atrium.

Entre les deux, se trouvent les locaux d’archives, de service, techniques ainsi que des patios. Au total, quatre flux séparés assurent la circulation à l’intérieur du bâtiment : le public, les magistrats, les enfants, les détenus. Les espaces réservés à ces derniers sont totalement étanches aux autres.

Coupe transversale
Coupe transversale

Efficacité de la structure

Les choix constructifs correspondent à l’organisation du programme et à la construction qui s’est déroulée sur deux ans. Les poteaux en béton blanc du rez-de-chaussée, comme ceux des étages, ont été préfabriqués sur place dans des moules spécifiques et implantés avec un entraxe de 70 cm, laissant un espace de 50 cm pour le vitrage. Sur cette colonnade, repose la poutre de rive qui sert d’appui à un réseau de poutres dont le deuxième appui est le noyau central constitué à partir des 4 circulations verticales ; il crée le porte-à-faux de 5 m de la salle des pas perdus. La poutre de rive supporte également les poteaux qui correspondent à la hauteur du premier étage et sur lesquels repose la poutre de rive du plancher haut du 1er étage. Dans cette poutre, sont ménagés des inserts de clavetage pour accueillir les poteaux de 10 m des façades des 3 étages supérieurs. Ils sont clavetés au moyen de banches équipées de guides pour assurer la verticalité des éléments. Des corbeaux insérés au coulage et liaisonnés au ferraillage servent d’appui aux poutres de rive métalliques sur lesquelles prennent appui les dalles alvéolaires des planchers. Ces dalles de 11 m de portée reposent, côté intérieur, sur le noyau en béton. Entre les poteaux de façade et les poutres de rive métalliques, des écarteurs maintiennent un vide comblé par de la laine minérale. Le noyau central, le réseau de poutres de rive des planchers hauts du rez-de-chaussée et du premier étage, ainsi que les poteaux du premier étage sont en béton coulé en place.

Grâce à l’ensemble de ce système, mis au point avec l’entreprise, très vite, toute la structure périphérique a été mise en place, dessinant la forme définitive du palais de justice. Les colonnades de béton blanc se sont ainsi imposées dans le paysage de la presqu’île, faisant écho à la pierre de Caen utilisée depuis le XIe siècle.

Originalité de ce palais de justice, la salle des pas perdus. Placée au 1er étage, en périphérie des salles d’audience, elle s’ouvre sur l’extérieur par des baies vitrées.
Originalité de ce palais de justice, la salle des pas perdus. Placée au 1er étage, en périphérie des salles d’audience, elle s’ouvre sur l’extérieur par des baies vitrées.

Reportage photos : Archphoto, INC.© Baumschlager Eberle, Kamel Khalfi et Vincent Fillon

Maître d’ouvrage : partenaire public : ministère de la Justice ; Apij (assistance à maîtrise d’ouvrage) ; partenaire privé : Cicobail, Caisse d’Épargne Normandie ; promoteur : Adim Normandie Centre – Maître d’œuvre : baumschlager eberle, architecte mandataire ; atelier d’architecture Pierre Champenois, architecte associé – BET structure : Sogea Nord-Ouest – BET façade : Bauraum – Entreprise générale : Sogea Nord-Ouest – Surfaces : 8 840 m² SP, 5 800 m² SU – Coût : 19,8 M€ HT – Programme : tribunal de grande instance pénal et civil, tribunal d’instance, tribunal pour enfants.



0 commentaires
CAPTCHA
Voir aussi
  • REVUE
    Construction Moderne n°148
    L’enveloppe, par son dessin, par l’aspect de sa surface, de son apparence..., est le support d’expressions multiples qui caractérisent une architecture.
  • REVUE
    Construction Moderne n°114
    Au cours des deux dernières décennies, le béton a connu une formidable évolution qui a ouvert la voie à une véritable “pluralité” du matériau. Que l’on parle de bétons à hautes performances ou de bétons autoplaçants, il existe aujourd’hui un large choix de bétons modernes qui ne sont pas réservés aux ouvrages exceptionnels mais sont, au contraire, très adaptés à la réalisation des ouvrages courants.
  • Agnetz

    Extension du collège Sainte-Jeanne d’Arc

    Les architectes Antoine Pélissier et Benoît Andrier de l’agence Agapé architectes et Pascal Hofstein  ont conçu un édifice aux lignes pures alliant programmation fonctionnelle et dimension spirituelle.