Avec ses échancrures, la façade urbaine de la résidence étudiante créée par Jacques Ripault pourrait presque faire songer aux pages choisies d’un livre entrouvert sur la ville. À Paris, la langue de ville qui sépare les boulevards extérieurs du boulevard périphérique est un territoire monotone né de la démolition des fortifications et du rêve de ceinture verte des urbanistes qui nous ont précédés. Sur ce tissu urbain quelque peu distendu, les HBM en brique des années 30, entrecoupés de squares, côtoient les voies ferrées et des équipements éducatifs et sportifs.
La Porte de Vanves n’échappe pas à la règle, mais la silhouette dynamique d’une petite tour effilée de dix étages transforme depuis peu l’image des lieux en y introduisant une modernité de bon aloi. Une extension envisagée à moyen terme en surélévation d’un immeuble en brique mitoyen pourrait encore parachever cet effet.
Une petite tour en proue près des voies ferrées
Ancré sur une étroite parcelle triangulaire dominant la bretelle d’accès du boulevard périphérique et les voies ferrées de la ligne Montparnasse, ce bâtiment en proue est l’œuvre de l’Atelier Jacques Ripault. Pour déjouer par une double approche plastique et technique les difficultés de la parcelle, l’architecte mobilise toutes les capacités du béton fibré à ultra hautes performances pour exprimer le dessin de son projet. Caractérisé par une terrasse en vigie face à la ville et par l’opalescence légère de son rez-de-chaussée, l’édifice accueille une résidence de 67 logements étudiants. Dominant les voies ferrées du haut de ses circulations, l’architecture offre des vues panoramiques inédites sur la ville.
Si l’émergence d’un escalier en partie haute est un bel appel à la lumière, le bâtiment, selon ses orientations, se protège et s’ouvre sur l’extérieur dans un jeu de fines lames et d’ouïes qui abritent l’espace des chambres sous la peau lisse, blanche et veloutée du béton. Au sud-ouest, l’édifice est en appui sur le mur acoustique qui s’affirme tel un contrefort le long des voies ferrées. Ici, la lame très épaisse s’avance en porte-à-faux pour amortir le bruit, protégeant ainsi les chambres exposées au sud en adoucissant la proue qu’elle embrasse. Sur le versant sud-est, côté ville, les studios d’étudiants sont éclairés par des plans successifs d’un effeuillage décalé d’étage en étage en ouvrant des vues latérales ou frontales. Comme autant d’appels visuels vers l’extérieur, l’alternance de failles hautes et verticales et de baies propose ainsi aux étudiants des cadrages choisis.
Les variations des circulations dessine l’espace des chambres
Pour les architectes confrontés au programme des résidences d’étudiants, tenir compte des contraintes d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite tend à devenir un casse-tête. Donner une sensation d’espace et de confort dans une surface réduite moyenne de 18 m2 en intégrant à la fois une salle de bains répondant à ces normes, une kitchenette, un bureau et un lit devient ainsi un réel enjeu. C’est par le traitement du mobilier et en jouant sur l’inflexion des couloirs de distribution des étages que Jacques Ripault y répond. Le plan des studios suit ainsi l’ondulation des couloirs dont le tracé fait écho aux avancées de la façade urbaine qui se décale plus ou moins vers l’extérieur.
Quand la chambre s’avance, le couloir s’élargit et ces mouvements qui délimitent des protections contribuent aux variations de vues des chambres. Quasiment tous identiques en termes de surface, les studios d’étudiants sont donc finalement tous différents. À l’intérieur, le bloc réunissant l’entrée et la salle de bains structure la kitchenette et son mobilier intégré en optimisant l’espace de vie et de travail. La géométrie des couloirs et leur variation de couleurs au gré des étages animent le parcours des parties communes qui trouve son point d’orgue au dernier niveau en R+10, dans le foyer et la terrasse en belvédère qui surplombent Paris d’est en ouest. Ici, la façade sud-ouest s’incurve en attique et des percements dans le voile de la terrasse créent un effet de fenêtre face au paysage urbain et ferroviaire.
Des ouïes en béton fibré
En raison de l’environnement urbain et des fortes contraintes physiques de ce terrain en pointe de 38 m de long par 15 dans sa plus grande largeur, opter pour un système constructif mettant en œuvre des panneaux préfabriqués en béton à coffrage intégré pour les parties structurelles verticales s’est avéré judicieux. En effet, l’utilisation de banches pour réaliser une structure en béton coulé en place semblait plus complexe à mettre en œuvre. La solution retenue a sans conteste facilité le déroulement et les délais de ce chantier à réaliser sur une surface restreinte et très exigüe par endroits, où il fallait édifier 2 600 m2 de plancher. La structure du bâtiment est constituée de voiles porteurs et de dalles de plancher en béton. Les voiles de refends verticaux et celui de la façade nord sont réalisés avec des panneaux préfabriqués en béton à coffrage intégré. La façade nord reçoit une isolation thermique renforcée par l’extérieur et une vêture en bardage d’aluminium perforé.
La façade principale orientée au sud-est et donnant sur la rue Julia Bartet est composée avec des éléments de vêture en béton fibré ultraperformant de couleur blanche. Ils sont agrafés sur une ossature en profilés métalliques associée à l’isolation par l’extérieur et à un système d’étanchéité à l’air. Le choix s’est porté sur des éléments de vêture de grandes dimensions lisses et de teinte blanche posés selon un calepinage varié. Pour valider la couleur et l’aspect du béton, des prototypes ont été réalisés en usine. La taille des plaques peut atteindre 5,40 m de haut (soit deux étages) pour une largeur de 0,90 m à 1,90 m. « Sur les voiles et dalles de la structure de la façade principale sont fixés les profilés métalliques intégrant l’isolant et le parement intérieur ainsi que les fenêtres étanches à l’air et à l’eau », précise Syril Travier, architecte responsable du projet au sein de l’Atelier.
« Les éléments en béton fibré à ultra haute performance sont clippés et boulonnés sur cette ossature. Afin de prévenir toute monotonie de la trame et pour qu’elle ne soit pas visible à l’œil nu, nous avons souhaité que le calepinage de la façade principale soit aussi irrégulier que possible. Des grands panneaux et des ouïes de 12 x 12 m s’arriment en avancée sur le mur du fond. Sur ce site livré à la circulation dense et la pollution des portes de Paris, le béton fibré à ultra hautes performances est particulièrement pertinent. Lisse, non poreux et hydrofuge, il est d’autant moins salissant qu’il intègre une protection anti-graffitis. »
Aujourd’hui, avec quelques mois de recul, on constate une grande stabilité de l’aspect de la façade, insensible aux agressions d’un milieu urbain caractérisé par l’intensité de la circulation. Ce matériau renvoie en outre une image de légèreté en accord avec le dessin de la façade principale. Avec l’isolation extérieure de ses façades, son écran acoustique, ses protections solaires, les occultations intégrées des chambres et ses qualités de pérennité, ce bâtiment a été conçu dans une démarche de haute qualité environnementale et répond aux exigences du Plan Climat Ville de Paris.
Principaux Intervenants
Auteur : Christine Desmoulins – Reportage photos : Hervé Abbadie et Patrick Müller
Maître d’ouvrage : RIVP pour le CROUS utilisateur – Maître d’œuvre : Jacques Ripault Architecture ; Syril Travier, chef de projet – BET : SAS Mizrahi – Entreprise générale : Bouygues – Préfabricant : FEHR (Ductal façades) – Surface : 2 600 m2 SHON – Coût : 6,04 M€ HT – Programme : 67 logements étudiants, foyer lieu de vie, hall, loge, locaux de service.