Avec sa trame de béton brut, bleu, la résidence Julia Bartet, réalisée par l’architecte Charles-Henri Tachon, transcende la ligne grise du périphérique.
Offrant par sa teinte bleue de cobalt délavée comme une promesse de ciel et d’océan, la nouvelle résidence Julia Bartet se dresse joyeusement dans un environnement plutôt hostile… pour le moment. Elle prend place à la limite de Paris dans le 14e arrondissement, entre le talus des rails de chemin de fer de la gare Montparnasse sur son flanc ouest et, à l’est, la rue Julia Bartet qui prolonge la rue Vercingétorix, un axe très emprunté pour sortir de Paris vers le sud. De sa hauteur de neuf étages, elle domine la frontière que marque le périphérique entre la capitale et, à cet endroit, les communes de Vanves et Malakoff. Bien que couvert sur quelques centaines de mètres à ce niveau de la porte de Vanves, le périphérique se fait entendre et sentir.
Déclassé en tant qu’espace public pour devenir constructible, le terrain sur lequel s’élève ce nouvel immeuble témoigne de la nécessité pour la ville de Paris de trouver de nouvelles parcelles. L’architecte Charles-Henri Tachon intègre à sa manière ce besoin et mise sur un Paris qui s’ouvre vers les communes limitrophes : « Un Paris qui franchirait le périphérique pour rejoindre la petite couronne en oubliant ses limites et son arrogance. » Il présente son bâtiment comme une invitation à dépasser les limites administratives et à donner corps au Grand Paris, « juste un peu plus grand ! »
Un trait d’union urbain
La volonté d’un traitement égalitaire des différentes orientations, sans hiérarchie, se traduit par l’homogénéité relative de la trame structurelle des façades. L’immeuble peut ainsi jouer un rôle de pivot en s’adressant autant aux grands immeubles de logements des années 1960 qui lui font face qu’à l’ancien bâtiment de l’Insee érigé à Malakoff (Serge Lana et Denis Honegger architectes), caractéristique de l’architecture de bureau des années 1970-1980. « Il répond à la complexité du site », affirme Gaëlle Jaquet, chef de projet de la RIVP, pour qui « le parti architectural fort et unitaire aplanit et pacifie l’environnement ».
Le plan en losange de l’immeuble s’adapte à la forme trapézoïdale de la parcelle tout en longueur qui s’étend au sud. L’immeuble dessine une proue effilée vers le nord et s’élargit partiellement sur le flanc ouest par une « ouïe » ajoutée en cours de projet afin d’obtenir le nombre de mètres carrés nécessaires à la réalisation du programme. Cette ouïe augmente la surface du premier au cinquième étage. Supportée par des consoles en béton en saillie qui font deviner les efforts nécessaires pour porter un bâtiment, elle surplombe l’espace tampon que constitue l’allée de livraison ménagée le long du talus ferroviaire. En sous-sol, l’immeuble absorbe les sorties d’un poste d’épuisement* de la RATP et de secours du périphérique ainsi qu’un faisceau de câbles qui parcourt la parcelle. Ces contraintes techniques particulières ont été déterminantes dans les choix structurels, impliquant de glisser les pieux des fondations entre ces éléments existants.
Une et insécable
L’opération associe trois entités différentes : une résidence sociale pour apprentis – des étudiants en alternance notamment – gérée par la filiale de la RIVP Hénéo, spécialisée dans l’hébergement temporaire, un centre de formation aux métiers de bouche et un centre de distribution de denrées alimentaires des Restos du Cœur. Ce dernier disposait depuis plusieurs années d’un hangar installé sur cet espace public. Si les trois s’emboîtent complètement dans un même ensemble bâti, chacun dispose de son accès propre. L’entrée dans le pignon sud du centre des Restos du Cœur, qui occupe la majeure partie du rez-de-chaussée, profite de l’élargissement du trottoir à cet endroit. L’attente éventuelle peut ainsi se faire de manière plus confortable.
Le hall d’accès de la résidence se fait à l’autre extrémité pour desservir les logements répartis entre le 2e et le 9e étage. Accessible par un grand escalier qui semble taillé dans les voiles de béton du socle du bâtiment, le centre de formation occupe tout le premier étage. Sa hauteur sous-plafond généreuse associée à de grandes baies vitrées introduit le paysage urbain environnant à l’intérieur du bâtiment. L’effet se trouve renforcé par le prolongement du béton bleu de la structure, qui se retrouve au sol comme au plafond dans le hall – « un espace issu de la structure et de la matière », comme le décrit l’architecte, réchauffé par le mobilier en bois massif soigneusement dessiné et réalisé. Le choix de matériaux pérennes se vérifie à tous les niveaux. Le travail de précision se poursuit dans les salles de cours, agencées le long de la façade ouest entièrement vitrée, dont le faux plafond en bois posé à claire-voie se plie en fonction des hauteurs de poutres.
De même dans les étages supérieurs où les studios de 17 à 28 m2 sont distribués en enfilade par des couloirs doublement vitrés toute hauteur en façade ouest toujours, le faisceau ferroviaire comme paysage. Les logements se trouvent ainsi préservés du trafic. Le 9e et dernier étage comprend outre quelques logements, des salles communes à l’ensemble des locataires : un vaste séjour-cafétéria attenant à une grande terrasse, une buanderie.
Des fonctions intégrées
Le béton bleu teinté dans la masse, rehaussé par les menuiseries métalliques dorées, accentue la présence de la trame structurelle de façade comme du bâtiment dans son unité et donne son identité au projet. Une teinte diffusée dans tout l’édifice, des portes des studios aux joints des carreaux de salle de bains en passant par les draps de lit. Comme le souligne l’architecte, « nous avons choisi le bleu parce que c’est une couleur joyeuse et relativement rare dans la ville tout en restant consensuelle ». Et d’ajouter, « J’aime qu’un bâtiment exprime fortement sa structure. Je travaille avec le béton brut justement parce qu’il permet cette lisibilité forte. »
Le pigment minéral bleu de cobalt a été mélangé à un béton de ciment blanc. Plus cher qu’un béton gris, il permettait d’atteindre avec moins de pigments la teinte et la densité imaginées. Coulé en place afin d’éviter les joints, le béton brut offre une matière non uniforme qui en fait la qualité. Un système de rupture de pont thermique assure la bonne étanchéité du bâtiment. Couleur et matière jouent avec la lumière. Si la structure bleue pénètre dans le bâtiment au niveau du hall du centre de formation, en revanche, un béton gris plus courant a été coulé aux étages supérieurs comme dans les salles du CFA. « Sur le chantier, il y avait deux bennes à béton : une pour le gris et une pour le bleu », explique Christian Accorsi, directeur de l’entreprise générale AMT, qui souligne l’investissement et la méthode, essentiels pour réussir un chantier de cette ambition.
En plus de répondre aux certification et label H&E, BBC Effinergie, le bâtiment collectionne les prix dont l’Équerre d’argent 2019 et le Trophée béton Pro.
* Poste d’épuisement : un poste, ou ouvrage d’épuisement est destiné à recueillir les eaux d’infiltration du tunnel pour les rejeter dans le réseau d’assainissement local.
Fiche technique
Reportage photos : Laurent Thion et Gilles Bretin
Maître d’ouvrage : Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) – Maître d’œuvre : Charles-Henri Tachon, architecture & paysage ; Claire Fuchs, conception et réalisation ; Benjamin Cros, concours et études – Assistance à maîtrise d’ouvrage H&E : QCS services – BET BET TCE et OPC : Sibat – Entreprise générale : AMT – Surface : 3 136 m2 SDP (résidence 2 566 m2, CFA de 347 m2, Restos du Cœur de 223 m2) – Coût : 8,5 M€ HT – Programme : Résidence sociale de jeunes actifs de 86 logements, centre de formation d’apprentis (CFA) et centre de distribution des Restos du Cœur.