Donnant sur la célèbre plage, la vaste place de l’Entonnoir (2 hectares) à Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais) achève sa métamorphose grâce au béton. Et pour respecter un planning événementiel exigeant avec notamment les Rencontres internationales de cerfs-volants en avril dernier, les technologies numériques ont été appelées à la rescousse. Résultat : un gain de temps appréciable.
Réputée pour son climat et ses établissements de convalescence, Berck-sur-Mer est un ancien village de pêcheurs. L’actuelle station balnéaire est reliée au bourg historique par la rue de l’Impératrice. Elle est séparée de la plage par ce que l’on appelle ici l’Entonnoir. Cette « patte d’oie » a été créée naturellement par l’assèchement, à la fin du XVIIe siècle, de l’Arche, une petite rivière dont le tracé suivait l’actuelle voie. Espace dunaire, cette zone s’est peu à peu urbanisée. Le sable envahissait souvent ce secteur, avant que l’actuelle digue ne soit élevée sur les ruines de constructions dynamitées durant la Seconde Guerre mondiale.
Envisagé dès 1928, le programme d’aménagement et d’embellissement de la ville n’a été réellement mis en œuvre que dans les années 1950. Il s’est traduit notamment par la création de voies de circulation et d’accessibilité vers l’est, pour relier Berck au Touquet.
Familière aux Berckois, avec sa rose des vents, son calvaire du Marin (érigé en 1851, puis détruit en 1944, mais reconstruit à l’identique en 1998) et sa statue de fusilier marin (monument du Souvenir français en hommage aux combattants de la guerre de 1870), la place de l’Entonnoir n’avait pas fait l’objet, jusqu’ici, de travaux significatifs. Elle connaît désormais une nouvelle jeunesse grâce au béton.
Un projet ambitieux : la réfection complète du front de mer
« Commencés en octobre 2017, les travaux de rénovation de la place de l’Entonnoir sont la première étape de la réfection complète du front de mer, contextualise Tony Leroux, directeur général des services techniques à la mairie de Berck-sur-Mer.
Voulue comme exemplaire, l’opération poursuit plusieurs objectifs :
- Marquer l’ancrage historique de la ville sur le littoral ;
- Renforcer la convivialité du lieu et son agrément esthétique ;
- Rééquilibrer l’espace entre les piétons et les véhicules ;
- Faciliter l’organisation d’événements, en permettant l’utilisation de vastes espaces, accessibles aux personnes à mobilité réduite (PMR).
Un aménagement décoratif s’inspirant des méandres de l’ancien estuaire
Une première phase de requalification concerne 17 000 m². Soutenu par la Région et par l’Agence de l’eau, le projet retenu consiste en un aménagement décoratif s’inspirant des méandres de l’ancien estuaire de l’Arche. Il intègre une rationalisation des places de parking (avec une augmentation de 110 à 128 places), tout en libérant de nouveaux espaces pour les piétons. Dans ce cadre rénové, les espaces publics et les commerces bénéficient d’une mise en accessibilité pour les personnes à mobilité réduite (PMR). L’éclairage public a été entièrement repensé avec l’utilisation de diodes électroluminescentes (LED). Des plantations et une végétalisation sont également prévues. Après les appels d’offres, lancés courant 2017, les travaux ont débuté en octobre 2017.
Les atouts du béton
Côté revêtement, le choix du béton s’est imposé naturellement face au pavage et à l’enrobé.
« À Berck-sur-Mer, lorsque les coefficients de marée sont importants et qu’il y a du vent, le sable passe au-dessus des remblais, explique Clément Delobel, le responsable du bureau d’études VRD chez Ingeo, qui a assuré la maîtrise d’œuvre du projet en liaison avec l’agence Paysage 360. Il n’est donc pas rare que le front de mer soit ensablé. Pour le dégager, il faut utiliser des engins lourds. Dans ces conditions, il était exclu d’utiliser des pavés qui auraient pu se déchausser sous la charge. »
Sans plus-value esthétique, l’enrobé est également évincé à cause de sa « moindre durabilité ».
« Couleur sable mouillé »
La parfaite adéquation du béton décoratif à ce chantier très qualitatif se confirme avec le choix de la teinte du revêtement. En effet, les échanges avec l’architecte des Bâtiments de France (ABF) débouchent sur le choix d’« une couleur de base » de béton qui doive être impérativement similaire à celle du sable de Berck. Selon le projet de Paysage 360, cette teinte a ensuite vocation à être déclinée – du plus sombre au plus clair – pour reconstituer les méandres de l’ancienne rivière.
Retenue pour fournir le béton, EQIOM Bétons recherche la solution idéale. « Nous avons utilisé des colorants Grace-Pieri pour obtenir la couleur sable mouillé, explique Frédéric Butel, responsable des sites du secteur littoral EQIOM Bétons de la région Hauts-de-France. Il suffit d’une infime variation de pourcentage pour que la coloration change. Je suis parti des gammes de couleurs jaune et marron et, finalement, j’ai réalisé mon propre dosage pour obtenir du beige “spécial Berck-sur-Mer”. Pour y parvenir, j’ai dû réaliser plus d’une centaine de planches d’essais durant un mois. »
Précaution d’entretien : il a été conseillé au maître d’ouvrage de ne pas utiliser de sels de déverglaçage pour ne pas altérer la teinte. Sans précaution, le sel peut engendrer des dégradations sur l’esthétique du béton, surtout s’il est coloré et même s’il a reçu une protection antitache et antisalissure, comme c’est le cas ici.
Finition : la micro-désactivation pour un calepinage complexe
Restait le choix de la finition. « L’originalité du projet consistait à mettre en valeur différentes teintes de béton grâce aux méandres, commente Clément Delobel, responsable du bureau d’études VRD d’Ingeo. Nous avions donc plusieurs possibilités de finition : désactivation, micro-désactivation, sablage, grenaillage… Le choix définitif s’est fait en tenant compte des contraintes techniques et du calepinage complexe prévu sur la place. Pour le sablage comme pour le grenaillage, il aurait été nécessaire d’utiliser des machines travaillant bande par bande. Difficile, voire impossible, de leur faire suivre un tracé ondulé. Plus souple d’utilisation, la micro-désactivation sur environ un millimètre s’est avérée le meilleur choix possible, car elle donne un aspect esthétique très naturel ainsi qu’un grand confort de marche. »
Béton résistant aux embruns
Pour alimenter le chantier courant 2018, c’est la centrale à bétons EQIOM de Conchil-le-Temple (Pas-de-Calais), à 8 km au sud de Berck-sur-Mer, qui a fourni le béton. Ses caractéristiques renforcent son caractère « local ». Il s’agit d’une solution Articimo® Texturé C 30/37, de granulométrie 0/12, avec des cailloux calcaires de teinte blanc-gris, concassés et lavés, provenant des carrières du Boulonnais, au sud de Calais. Pour certains méandres de nuances plus sombres, un granulat noir 0/14 de Gaurain-Ramecroix (Tournai) en Belgique a été utilisé.
« Le béton choisi est résistant aux embruns. C’est un ciment CEM III/A 42,5 N LH CE PM (prise mer) – ES (eaux sulfatées) NF. Il est dosé à 350 kg pour obtenir une résistance de 30 MPa et satisfaire à une classe d’exposition XF 2 pour le cycle gel-dégel. L’entraîneur d’air utilisé génère des microbulles d’air dans le béton, ce qui lui permet de mieux résister au gel en évitant les contraintes dans le béton, précise Frédéric Butel, responsable des sites du secteur littoral EQIOM Bétons de la région Hauts-de-France. Ce ciment CEM III est un ciment laitier avec un indice carbone optimisé. Il a une prise plutôt lente, ce qui facilite sa mise en œuvre. » Il est produit à l’usine de Lumbres, située à une quinzaine de kilomètres à l’est de Saint-Omer, toujours dans le Pas-de-Calais (production annuelle : 750 000 t/an).
Projection du chantier en 3D
Choisi pour assurer la maîtrise d’œuvre, Ingeo, bureau d’études et agence de géomètres-experts basée à Saint-Omer (Pas-de-Calais), en a profité pour mettre en œuvre une innovation en s’appuyant sur une maquette numérique en 3D. « C’est une première pour nous. Nous avons modélisé le chantier dans ses moindres détails, en ayant recours aux technologies BIM (Building Information Modeling), précise Clément Delobel, responsable du bureau d’études VRD d’Ingeo. Cela nous a permis de suivre à la lettre la vision architecturale de l’agence Paysage 360. Un plan topographique très précis a été dressé, grâce notamment à des relevés effectués par drone et sur le terrain. Il a servi de base aux études. La maquette numérique a également intégré les données provenant des plans des concessionnaires des réseaux, complétées par des investigations menées à l’aide de méthodes non intrusives (détecteur électromagnétique, radar géologique) ou, le cas échéant, de sondages. »
Tracés des nouveaux réseaux, emplacement du futur bassin de rétention ou encore représentation de l’impact d’une pluie centennale…, tout est prévu et visualisable avant d’être effectivement réalisé avec, en surimpression, les bâtiments existants. « Nous avons même pu modéliser les flux de piétons qui circuleront sur la place, signale Clément Delobel. En permettant de lever un maximum d’incertitudes, cette approche a grandement facilité la préparation du chantier et son exécution. »
Bonne communication avec les riverains
Pour la réussite d’un tel projet, la communication avec les riverains est essentielle. Lors de la première réunion publique d’information, en septembre 2017, la maquette numérique en 3D a permis de répondre de façon visuelle, argumentée et précise aux questions des participants. Durant toute la durée des travaux, la circulation piétonne et l’accès aux commerces ont été maintenus. En matière de circulation automobile, les dimensions de la place (2 hectares) ont permis de procéder à un basculement du flux de véhicules d’un côté, puis de l’autre, ce qui a minimisé grandement l’impact du chantier.
Phasage et couche de forme
Calé sur le calendrier de la station balnéaire, le phasage du chantier, dont la durée totale était fixée à trente semaines, prévoyait deux interruptions : l’une en avril 2018, pour les Rencontres internationales de cerfs-volants ; l’autre en juillet et en août 2018, pour la période estivale.
Étape essentielle : la réalisation de la couche de forme. « Elle est constituée d’une grave traitée et recyclée d’une épaisseur de 15 cm sur toutes les plates-formes et de 25 cm pour les voiries, indique Christophe Leprêtre, le conducteur de travaux d’Eurovia. Total : 6 000 tonnes. Pour diminuer l’empreinte carbone, nous avons recyclé la plupart des matériaux sur place, avec criblage et concassage de ceux-ci sur une plate-forme à proximité du chantier. Puis, une fois la couche de forme réalisée, nous avons procédé à la vérification des portances, avant de couler le béton. »
Plan de calepinage complexe
Christophe Leprêtre poursuit : « Comme déjà indiqué, les méandres, avec leurs nombreuses courbes, ont nécessité de résoudre pas mal de difficultés techniques, tout comme la rose des vents, dont les branches forment des angles inférieurs à 90 °, ce qui rend délicate la mise en œuvre du béton et ce qui le fragilise. Certains méandres ont été faits grâce à des coffrages en bois, avec une équipe de trois compagnons qui en réalisaient jusqu’à 200 mètres linéaires par jour. Les autres ont été confectionnés avec des joints de dilatation PVC de couleur sable. Hauteur : 80 mm. Au total, 3 600 ml – en longueur 4 ml –, qui ont permis de dessiner des courbes conformes au calepinage. »
3 200 m³ de béton mis en œuvre
Pour l’ensemble du coulage, ce sont 3 200 m³ de béton sur une épaisseur de 20 cm qui ont été mis en œuvre par Eurovia, représentée par son agence d’Étaples-sur-Mer. « Cela représente environ 400 toupies de 8 m3, détaille Christophe Leprêtre. La cadence variait entre 50 et 100 m³ par jour. L’avantage est que la centrale se trouvait à proximité. Nous n’avons pas rencontré de problème d’approvisionnement à cause de la circulation. »
Particularité : pour des raisons d’accessibilité, l’intégralité du béton a été mise en œuvre à la pompe en une quarantaine d’interventions successives (« sans difficultés particulières », indique Christophe Leprêtre), puis talochée manuellement à l’aide de grandes lisseuses à manche télescopique.
Fibres et cure
« Pour limiter les microfissures de surface, le béton a été fibré (avec un dosage de 900 g/m3 de type de fibre Fibermesch de Grace-Pieri), poursuit Christophe Leprêtre. La cure – avec du LS Curing (Grace-Pieri) – est scrupuleusement respectée, et le béton fraîchement coulé est protégé par la pulvérisation d’un enduit de protection (Early Protect de Grace-Pieri) à raison d’un dosage d’un litre par 5 m². » Les conditions météo n’ont pas facilité la mise en œuvre. « Nous avons eu énormément de vent et également de la pluie. La difficulté par rapport au vent, c’est la nécessité de réaliser une bonne cure. Nous n’avons pas utilisé de film plastique isolant (polyane) pour éviter qu’il n’adhère au béton coloré en le “marbrant”. Avec le vent, le béton prend trop vite. Il faut alors curer au moins à deux reprises. »
Désactivant bio et traits de scie
« Un désactivant bio (également de chez Grace-Pieri), faisant office de produit de cure, a été utilisé sur le béton frais et lissé, explique le chef de chantier d’Eurovia. Quelques heures après, le lavage a été réalisé au nettoyeur à haute pression. Après lavage, l’aspect du béton micro-désactivé ressemble fortement à un sablage. Tous les résidus dus à la désactivation (eau, laitance et désactivant) ont été récupérés en utilisant une balayeuse-aspiratrice (modèle Major 8001, marque Scarab sur porteur Mercedes). Enfin, en fonction de la température, de vingt-quatre heures à trois jours après le coulage, nous avons réalisé le calepinage des joints. »
Pour ce faire, Eurovia s’est conformée aux règles de l’art suivantes :
Espacement maximal des joints : ≤ 25 fois l’épaisseur de dalle, soit au maximum 5 m pour une dalle de 20 cm.
Angles des coins des dalles : 90 ° ou à défaut ≥ 75 °, pas toujours possible vu la géométrie des méandres.
Rapport longueur-largeur de dalle : ≤ 1,5.
Largeur du joint : 3 mm.
Profondeur : 5 cm, si épaisseur de dalle de 20 cm pour répondre à la norme e/4 < p < e/3.
Par ailleurs, un joint de fractionnement de type Esofloor MM, large de 14 mm avec mastic RAL 1015, a été réalisé à l’axe de la place pour désolidariser la vaste dalle et couper l’esplanade en deux. Enfin, un délai de séchage traditionnel de vingt-huit jours a été respecté.
Bilan : « Au total, cette première tranche de travaux représente environ 13 200 heures de compagnons, hors chauffeurs et hors sous-traitant, indique encore le conducteur de travaux d’Eurovia. En effectif de pointe, nous avions jusqu’à 35 personnes sur le chantier, avec plusieurs ateliers simultanés : terrassement, pose de bordures, remplissage de trottoirs… »
La dernière semaine de travaux a eu lieu au début du mois de février de cette année. « Grâce à notre maquette numérique en 3D et à un phasage minutieux, nous avons pu optimiser le planning et terminer le chantier en avance, avant l’échéance fixée à fin mars, se félicite Clément Delobel, responsable du bureau d’études VRD d’Ingeo. Sans certains petits aléas inévitables, nous aurions même pu terminer en décembre. Quoi qu’il en soit, c’est un magnifique chantier, qui s’est très bien déroulé et dont le résultat est très valorisant. » Pour le nouveau visage de Berck, le ton est donné !
Principaux Intervenants :
Maîtrise d’ouvrage : Ville de Berck-sur-Mer - Maîtrise d’œuvre : Agence Paysage 360, Ingeo - Entreprise : Groupement Eurovia-Ramery - Fournisseur du béton : EQIOM Bétons (centrale à bétons de Conchil-le-Temple dans le Pas-de-Calais) - Fournisseur du ciment : EQIOM (usine de Lumbres)