Dans la banlieue parisienne, une cité des années 60, emblématique du mouvement brutaliste, affiche des façades en béton brut restaurées avec justesse.
Quinze ans après la seconde guerre mondiale, la France manque toujours cruellement de logements, notamment en Île-de-France. C’est dans ce contexte que la résidence des Bleuets voit le jour, à Créteil, juste à la lisière de Maisons-Alfort. Situé sur l’emplacement d’anciennes carrières et présentant de forts dénivelés, le site a du caractère, sans doute autant que Paul Bossard, l’architecte qui a conçu cette cité classée en 1999 « patrimoine du XXe siècle », et nommée aujourd’hui « architecture contemporaine remarquable ». En 1962, l’opération est innovante, décrite par Paul Bossard comme « l’alliance harmonieuse de la terre et de l’arbre, du béton et de la pierre renforcée par de larges baies vitrées ». Elle offre au regard une plastique nouvelle mettant en œuvre, selon le principe dit « brutaliste », du béton brut, du bois et du verre pour créer un ensemble où paysage et architecture se complètent et interfèrent.
Le terrain est entièrement remodelé et planté pour créer des perspectives, des jeux de niveau et donner envie de s’y promener. Un demi-siècle plus tard, la végétation s’est développée et révèle pleinement ce dialogue avec le béton brut. En revanche, les bâtiments ont vieilli, les logements ne sont plus aux normes et la circulation entre les bâtiments ne correspond plus aux besoins actuels. La résidence doit être réhabilitée et le site restructuré.
Investie depuis de nombreuses années dans ce type d’opérations, l’agence RVA est missionnée pour ce projet d’envergure.
Un projet de rénovation fédérateur
Rénover une cité aussi emblématique implique de prendre en considération un nombre important de paramètres et de convaincre tous les intervenants. Par chance, ces derniers sont tous pleinement conscients de la valeur patrimoniale de l’œuvre, et notamment le maître d’ouvrage.
Dans ce contexte porteur, les architectes souhaitent être conformes, autant que possible, à l’esprit du quartier imaginé par P. Bossard. Leur parti pris est simple, tout en étant ambitieux. Il consiste à intégrer au projet de rénovation les exigences du confort contemporain, tout en mettant en valeur l’architecture d’origine et en désenclavant le quartier. Pour résoudre ce dernier point, la décision est prise de démolir un bâtiment qui entrave l’ouverture de la résidence vers la ville. L’espace libéré permet de créer une nouvelle voie reliée aux rues existantes et au reste du quartier. Ce réaménagement des circulations fait partie d’une restructuration plus générale du parc et de l’ensemble des espaces extérieurs. Il passe par un dimensionnement plus large et une protection des cheminements piéton, une augmentation de la place réservée au stationnement, le tout étant intégré dans une démarche paysagère qui renoue avec l’esprit d’origine du quartier.
Actualisation et retour aux sources
Pour faire correspondre les logements aux exigences actuelles, en termes de surface, certains appartements ont été déclassés et le cloisonnement revu partiellement lorsque cela s’avérait nécessaire. Outre la mise à neuf des revêtements et des sanitaires, l’ensemble des réseaux ont été mis aux normes. Un des autres enjeux de la réhabilitation visait à retrouver les qualités architecturales des bâtiments qui s’étaient amenuisées avec le temps et notamment lors de la rénovation engagée en 1987. Des menuiseries bois conformes à l’esthétique originelle sont réintroduites. Elles renouvellent la relation entre le « béton/pierre » et le bois, une des bases de l’écriture « brutaliste ». La couleur est également réintroduite par l’ajout de stores coulissants colorés rappelant les stores en toile qui équipaient les baies d’origine. Quant aux parties communes, l’agence RVA a souhaité restituer l’accueil et le confort initiaux des halls qui bénéficient à nouveau d’un éclairage et de revêtements de qualité. Les boîtes aux lettres ont retrouvé leur place à l’intérieur dans un espace protégé. À l’extérieur, les angles maçonnés avec inclusion de schiste, emblématiques du projet des années 60, ont été reconstitués selon le dispositif original.
Hommage et renaissance d’un béton
Si réintroduire des soubassements conformes à ceux dessinés par P. Bossard semblait être une évidence, retrouver un béton brut de qualité s’avérait être aussi fondamental, tant il participe à l’identité et à l’écriture architecturale de la résidence. Malmené par les années et la réhabilitation de 1987, il s’affiche à nouveau fièrement et ce, grâce à un vrai travail d’orfèvre qui a valu à cette réalisation l’obtention du Trophée béton Pro en 2019. Ici, il n’est point question de prouesse structurelle mais de restitution de matière. Missionné par l’agence RVA, le Laboratoire d’Études et de Recherches sur les Matériaux (LERM) a élaboré un diagnostic et a préconisé les actions à mettre en œuvre. Tout est fait pour retrouver l’aspect brut des bétons originels, du sablage du béton par projection en passant par le décapage de la peinture vinylique blanche posée sur les trumeaux dans les années 80 ou encore la purge manuelle des pierres de schiste qui se délitaient. La conservation des empreintes de ces pierres sur les bandeaux exprime pleinement le principe de cette réhabilitation, à savoir inscrire la résidence dans le temps présent en respectant l’esprit d’origine et ce, en faisant juste ce qu’il faut. Il n’était pas nécessaire de replacer une pierre. Son empreinte suffit à rappeler qu’elle a existé et son relief en creux à offrir une modénature proche du projet originel. Du reste la restitution des coques d’angle des soubassements au droit des entrées a été l’occasion de renouer avec une méthodologie de mise en œuvre identique à celle définie par Paul Bossard, soit une préfabrication intégrant des opérations manuelles. Non porteurs, ces éléments d’habillage ont été réalisés à l’aide d’un moule de coffrage. Et si généralement les éléments incrustés dans le béton sont posés en fond de moule, ici les ardoises ont été incorporées sur le dessus, de manière aléatoire par les maçons, conférant à ces pièces moulées une dimension artisanale et humaine.
Une approche environnementale responsable
Réhabiliter la résidence impliquait une remise aux normes globale, y compris en termes d’isolation. En effet, si les éléments préfabriqués en béton, conçus par P. Bossard, posés à sec et emboîtés, permettent d’assurer l’étanchéité, les joints de dilatation, suffisamment importants pour compenser d’éventuelles déformations tectoniques, constituaient d’importants ponts thermiques. À ces déperditions, s’ajoutaient ceux des menuiseries et celles du système de chauffage à air pulsé. Pour réduire au maximum ces déperditions, un travail minutieux d’isolation a été engagé. L’un des souhaits étant la préservation architecturale des façades, l’isolation thermique devait être évidemment intérieure. Un nouveau réseau de chauffage collectif a été mis en place avec pose de radiateurs à thermostat aérodynamique. Les anciens conduits de chauffage ayant été retirés des banquettes qui les habillaient, ces vides ont permis de placer des volets roulants dans les pièces de nuit, sans nuire à l’esthétique des façades. Les fenêtres existantes ont été remplacées par des menuiseries bois répondant aux exigences actuelles en termes d’isolation thermique et acoustique tout en renouant avec l’esprit d’origine. Grâce à l’ensemble de ces dispositifs, la performance énergétique des bâtiments a été ramenée d’une étiquette F à une étiquette C. L’agence RVA a su redonner ses lettres de noblesse au projet de Paul Bossard.
Fiche technique
Reportage photos : Luc Boegly; Jean-Yves Lacote
- Maître d’ouvrage : CDC Habitat (Efidis)
- Maître d’œuvre : Agence RVA
- BET TCE : Arcoba
- BET VRD : Ingetec
- Entreprise générale : Bouygues Habitat Social
- Surfaces : 34 120 m2 SHAB avant travaux et 31 325 m2 SHAB après travaux
- Coûts : 29,58 M€ HT (réhabilitation) et 4,2 M€ HT (résidentialisation)
- Programme : réhabilitation, restructuration et résidentialisation de 602 logements collectifs en milieu vide.
- Logements : 602 logements existants pour 533 logements après travaux (283 réhabilités, 139 restructurés, 111 déclassés et 46 démolis (bâtiment F).