Créé en 1958 par Jean Renaudie (1925-1981), Pierre Riboulet (1928-2003), Gérard Thurnauer (1926-2014) et Jean-Louis Véret (1927-2011), l’Atelier de Montrouge (ATM) se démarque, dans le contexte de rénovation urbaine et de production intensive de logements des années 60, par son organisation, sa pensée sur l’architecture de son temps et par la qualité architecturale de ses réalisations, qui ont marqué leur époque. On peut citer le village de vacances du Merlier à Cap Camarat (1958-1965), la bibliothèque « La joie par les livres » de la cité de la Plaine à Clamart (1965), le SITI (service interrégional de traitement de l’information) d’EDF et ses logements de fonction à Orléans-La Source (1966-1969).

Les deux petites tours de logements livrées en 1967 à Ivry-sur-Seine par l’Atelier de Montrouge sont emblématiques du travail de cette agence collective et en constituent un des projets majeurs. Elles sont considérées comme exemplaires de l’architecture dite « brutaliste » en France. Leur dimension sculpturale ciselée par le béton brut coulé dans un coffrage en planches et l’originalité de leur conception en font une incontestable référence du patrimoine architectural du xxe siècle dans notre pays.

Le projet initial

En 1963, EDF demande à l’Atelier de Montrouge de concevoir douze pavillons pour loger des cadres et des ingénieurs devant résider sur le site de la centrale d’Ivry-sur-Seine. Après une première étude proposant douze maisons modulaires de deux niveaux de quatre à six pièces avec terrasses, disposées en quinconce le long de la voie de desserte, les architectes développent un projet qui superpose les douze maisons, réparties dans deux petites tours, sur plan carré, de sept (R+7) et cinq (R+5) étages. L’idée innovante, qui donne toute sa force et son originalité à ce projet, consiste à faire pivoter d’un quart de tour le plan des logements à chaque niveau, autour du noyau central regroupant escalier et ascenseur. Cette rotation dans l’espace génère en façade des décrochés, des reculs, des avancées, des jeux d’emboîtements, de pleins et de vides qui sculptent les volumes. Cela permet d’individualiser chaque logement dans l’ensemble, de préserver l’intimité des habitants en les protégeant des vues et d’offrir de grandes terrasses bénéficiant d’orientations différentes. La grande tour abrite alors sept logements et la petite cinq. Le principe structurel est identique pour chaque tour. Il associe le noyau central carré à quatre voiles et à quatre poteaux qui portent planchers et façades. L’ensemble est réalisé en béton coulé en place. Pour les façades, le béton est coulé dans des banches en bois. Les veines des planches de coffrage, ainsi que les lignes horizontales et verticales de leur calepinage animent la peau du béton, laissé brut de décoffrage. La matière et le dessin mettent en valeur l’expression géométrique des volumes, le jeu de la lumière, l’articulation des façades.

Un long abandon

Au fil des années, les deux bâtiments ont fait l’objet de travaux qui ont dénaturé l’architecture d’origine. Les huisseries bois-aluminium ont été remplacées par du PVC, des stores extérieurs de piètre facture avaient été rajoutés à l’extérieur, etc. Après l’arrêt de la centrale d’Ivry, le personnel logé sur place quitte petit à petit les lieux. En 2000, EDF vend les deux tours de logements à un marchand de biens. Celui-ci demande à l’AUA Paul Chemetov de faire une étude de réhabilitation qui restera sans suite. Une longue période d’incertitude s’ouvre alors. Les logements sont un temps squattés et malmenés. Les tours sont murées pour éviter toute occupation illicite. La menace de leur démolition plane. Leur inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 2003 éloigne définitivement le spectre de la démolition. Cependant, elles vont encore rester à l’abandon de nombreuses années, pendant lesquelles actes de vandalisme, tags, vieillissement dû à l’absence d’entretien les marqueront de leurs stigmates. L’achat de l’ensemble du site par la Sadev 94 (Société d’aménagement et de développement des villes et du département du Val-de-Marne), en 2010, met fin à cette sombre et trop longue période. La Sadev 94 relance alors le projet de réhabilitation conçu par Paul Chemetov.

Les jeux d’emboî- tements, de pleins et de creux sculptent les volumes des tours et permettent d’individualiser chaque logement dans l’ensemble.
Les jeux d’emboî- tements, de pleins et de creux sculptent les volumes des tours et permettent d’individualiser chaque logement dans l’ensemble.
Les deux tours vues du boulevard Colonel Fabien.
Les deux tours vues du boulevard Colonel Fabien.

Réhabiliter et moderniser dans l’esprit du projet d’origine

« Je suis très heureux d’avoir mené à bien cette réhabilitation. J’ai abordé ce projet dans un esprit de filiation. En 1965, l’Atelier de Montrouge, l’AUA et l’agence bordelaise Salier-Courtois-Lajus-Sadirac ont reçu conjointement le Grand Prix du Cercle d’études architecturales. Dans la marée de la construction de masse française, nous avons été distingués comme singuliers et exerçant l’architecture d’une autre façon(1). Personnellement, je pense que les tours de logements d’Ivry sont un des chefs-d’œuvre de l’Atelier de Montrouge. C’est un chef-d’œuvre de l’architecture des années 60 en France et du logement collectif. La structure avec ses quatre poteaux et ses quatre voiles autour du noyau central est d’une remarquable intelligence. Elle permet une grande liberté et la fluidité dans l’aménagement des plans de logements. On n’a pas fait beaucoup mieux depuis. Pour cette opération, nous avons bénéficié d’un environnement favorable du fait de l’engagement de notre maître d’ouvrage, la Sadev 94, dans le projet de réhabilitation, ainsi que de l’aide très positive de l’architecte des bâtiments de France, madame Barry. Nous sommes restés au plus près de l’état originel, pour son intérêt indéniable en termes culturels, architecturaux et patrimoniaux. Nous avons amélioré le confort thermique et adapté les logements aux usages actuels », précise Paul Chemetov.

Laissés à l’abandon pendant une décennie, les deux bâtiments sont dans un triste état. Les façades en béton brut sont altérées par des salissures et de nombreux graffitis. Leur nécessaire ravalement a fait l’objet d’une attention minutieuse, afin de conserver sur la peau du béton l’empreinte des veines des planches de coffrage et leur calepinage. Le ravalement est réalisé par jets d’eau sous pression, dont l’intensité est très précisément déterminée. Ensuite, les fissures sont rebouchées. Une lasure est appliquée pour protéger les façades de la pluie et de la pollution. « Les façades en béton étaient en bon état et les réparations que nous avons effectuées sont normales pour des bâtiments laissés si longtemps sans entretien, souligne l’architecte. Au-delà de la protection qu’elle assure, la lasure que nous avons choisie donne une unité du béton qui met en valeur l’architecture de l’ensemble .» Dessinées et réalisées pour cette opération, des fenêtres à double vitrage aux fines huisseries en aluminium viennent remplacer celles d’origine en bois/ aluminium qui ne sont plus fabriquées. Des stores extérieurs en aluminium assurent la protection et l’occultation des ouvertures. L’ensemble retrouve le dessin et la finesse des premières baies. Différents éléments en bois comme les garde-corps intérieurs des appartements ou le faux plafond des halls ont été démontés, nettoyés et remis en place.

Une isolation par l’intérieur associée aux doubles vitrages améliore le confort thermique. Dans la grande tour, on retrouve toujours sept grands appartements dont deux duplex. Dans la petite, une nouvelle partition fait passer le nombre de logements de cinq à dix avec, à chaque étage, un studio et un deux pièces, ce qui offre des appartements plus petits qui n’existaient pas auparavant.

Les deux tours ont aujourd’hui retrouvé leur éclat. Dans cette architecture d’exception, les logements ont rapidement trouvé acquéreurs et le lieu revit pour le plus grand plaisir de tous. Leur réhabilitation est un exemple de sauvegarde du patrimoine du xxe siècle.

intérieur d’un appartement de la grande tour.
intérieur d’un appartement de la grande tour.
Le hall de la grande tour.
Le hall de la grande tour.
Vue sur la petite tour depuis un appartement de la grande tour.
Vue sur la petite tour depuis un appartement de la grande tour.

Reportage photos : Anne RIZO et Olivier WOGENSCKY

Maître d’ouvrage : Sadev 94 – Maître d’œuvre : AUA Paul Chemetov, Paul Chemetov, architecte mandataire, César Canet, chef de projet – Bureau d’études TCE : EPDC – Entreprise gros œuvre : CBP – Entreprise façade : LRF – Menuiseries extérieures : Sepalumic (fabrication), Negro (pose) – Surface : foncière 5 622 m², SHON 2 883 m² – Coût : 1,9 M€ HT hors VRD – Programme : réhabilitation de deux tours de logements de l’Atelier de Montrouge (inscrites à l’ISMH), bâtiment A : R+7 avec sous-sol, bâtiment B : R+5 avec sous-sol et ensemble de garages. Prix spécial du jury DUO@WORK.



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