Le port de Calais, ancré dans l’histoire depuis le Xe siècle, fut témoin de l’arrivée de Richard Cœur de Lion en 1189, avant qu’il ne parte en croisade. Depuis lors, ce port n’a cessé d’évoluer et de se moderniser. L’année 1928, tout aussi emblématique, voit la création par le capitaine Stuart Townsend de la première ligne de transport de voitures grâce aux Car Ferries. Depuis leur mise en service, ces navires ont proliféré en nombre et en taille, atteignant aujourd’hui des dimensions impressionnantes de 213 m de long et 32 m de large. En parallèle, les infrastructures maritimes – plateformes, passerelles, bassins, jetées et quais d’accostage – ont dû s’adapter et grandir pour accompagner cette croissance. En 1994, l’ouverture du tunnel sous la Manche a paradoxalement stimulé le trafic routier des camions, renforçant ainsi le fret maritime. Cependant, au tournant du siècle, le port de Calais s’est retrouvé confronté à un manque d’espace terrestre, freinant ainsi les possibilités de développement et de diversification, notamment en ce qui concerne les autoroutes ferroviaires.

Les volumes fonctionnels sont empilés de manière décalée, à l’image des galets formant un cairn.

C’est ainsi qu’est né le projet ambitieux « Calais Port 2015 ». Visionnaire, celui-ci a permis de gagner 45 ha sur la mer et de construire une nouvelle digue de 3,2 km, doublant la capacité du port. Grâce à cette expansion, Calais a pu conserver son statut prestigieux : il demeure le premier port français pour les voyageurs et le trafic transmanche, le premier port roulier, et se classe au quatrième rang des ports commerciaux français. En 2007, il fut le premier à recevoir le label Écoport, reconnaissant ses efforts en matière de développement durable. C’est dans ce contexte de renouveau et de modernisation que la nouvelle capitainerie a été édifiée, épilogue bienheureux de l’extension des équipements portuaires de Calais.

Les façades en prémur béton racontent l’identité calaisienne par des inscriptions dans la matière.

La commande

Offrant une superficie agrandie totalisant 708 m, la capitainerie a été relocalisée à la jonction de l’ancien et du nouveau port. L’agence lilloise Atelier 9.81, forte d’une expertise avérée dans la fusion de l’architecture et du territoire, a assuré la réalisation de ce projet, remporté à l’issue d’un appel d’offres en 2019. La mission était de bâtir une tour de contrôle maritime avec un plancher bas culminant à 38 m, permettant aux opérateurs de dominer les immenses ferries et de surveiller le paysage pour réguler le trafic transmanche.

Outre l’installation d’une vigie sommitale, le projet comprenait également l’aménagement d’une salle de crise, de nombreux locaux techniques et des bureaux de commande pour les éclusiers, désormais regroupés sur ce site unique. La construction, entièrement en béton, représentait plusieurs défis, notamment en raison des préconisations sismiques de niveau 2. Cependant, l’exigence de sécurité maximale ainsi que la résistance de la tour aux vents violents et à l’environnement salin de la Côte d’Opale ont constitué des enjeux majeurs. Tous les éléments constitutifs du bâtiment doivent donc être de qualité supérieure. 

Dès le début du projet, le choix d’un édifice entièrement en béton brut s’est imposé. Ce matériau, capable de répondre aux contraintes techniques et programmatiques, a été sublimé par les architectes pour en faire un élément esthétique : en s’inspirant du paysage de cette vaste plage du Nord, bordée d’une mer vert jade et s’étendant à l’ouest jusqu’au cap Blanc-Nez, les créateurs ont imaginé une forme architecturale qui s’intègre dans le territoire comme une œuvre de land art.

Axonométrie : © Atelier 9.81.

Une fragmentation du programme

« Nous nous sommes inspirés du cairn, cet empilement de galets que l’on crée sur la plage, symbolisant à la fois l’autonomie des éléments et le mouvement », explique Cédric Michel, architecte et cofondateur de l’agence Atelier 9.81 avec Geoffrey Galand. Ici, l’architecture se veut narrative, se matérialisant sous la forme d’une accumulation de strates, autonomes et légèrement décalées. Chacune d’entre elles, correspondant à une entité programmatique, raconte l’identité du territoire calaisien, évoquant plus précisément le patrimoine géologique, géographique et historique de la ville à travers des motifs inscrits dans la masse.

Le dessus des murs de terrasse intègre un léger creux dans le béton de manière à éviter l’ombre et le débord de la couvertine sur la façade.

Le volume le plus imposant, situé en partie basse, ancre solidement la tour dans le site. Ses façades, creusées de lignes fracturées, rappellent les anfractuosités des falaises du cap Gris-Nez et du cap Blanc-Nez, accentuées par la taille en biseau des rebords de fenêtres ainsi protégés des oiseaux de mer. Élevée sur trois niveaux, cette section – la seule non préfabriquée, réalisée en béton coulé – abrite le hall aux triples vitrages, le bureau du capitaine, ceux des éclusiers et la salle de crise. Des tisaneries et d’imposants locaux techniques ont été aménagés à chaque étage.

Les deux niveaux intermédiaires, plus fins, accueillent également des installations techniques ainsi que les circulations verticales. Un sablage du béton, avec certaines parties protégées par des pochoirs, a permis de représenter la carte maritime du détroit de la Manche. Cette technique, en enlevant une fine couche de laitance de la matière, définit le dessin par rugosité.

La vigie est entourée d’une déambulation extérieure, ses parois vitrées inclinées évitent l’éblouissement en salle de commande.

Enfin, le parallélépipède supérieur évoque l’histoire du développement de la ville, autrefois un grand centre de production de dentelle. Des éléments en silicone, placés dans les moules des prémurs de béton, ont créé un relief de cercles en pointillés. Cette trame représente les cartes perforées utilisées pour fabriquer les motifs de la dentelle. Certains de ces motifs circulaires sont percés et abritent un oculus apportant de la lumière dans la cuisine et les salles de repos.

La vigie, située en partie supérieure, conçue avec l’aide d’un expert maritime, est un plateau libre entièrement vitré, offrant un panorama à 360 degrés sur le trafic maritime. « La salle peinte en noir et les vitrages obliques évitent tout éblouissement et maintiennent le regard focalisé vers la mer », précise Cédric Michel. Enfin, la sous-vigie qui lui est reliée accueille vestiaires et cuisine, ce qui permet aux opérateurs de garde de profiter d’un moment de pause à proximité immédiate de leur poste.

Au niveau 3, la salle de crise se prolonge par une terrasse panoramique qui ne figurait pas au programme.

Le façonnage du béton

La forme épurée de la capitainerie découle d’une géométrie subtilement élaborée, visant à rendre palpable l’autonomie des volumes tout en jouant sur la perception de l’équilibre, sans induire de fragilité. La réalisation des prémurs en béton a exigé de nombreux échanges avec les entreprises : « La formulation des bétons est classique, mais ils possèdent une classe d’exposition XS3 pour se prémunir contre la corrosion des armatures par les chlorures d’eau de mer », explique Cédric Michel. Cette résistance aux embruns marins a nécessité un processus de fabrication minutieux, incluant un passage en chambre de durcissement pendant une dizaine d’heures. « Nous avons été très exigeants sur la qualité des bétons. En collaboration avec le fabricant, nous avons modélisé et ajusté les dessins en fonction du calepinage des panneaux », poursuit l’architecte.

Les menuiseries sont parfaitement étanches afin de ne pas laisser pénétrer le sable et les embruns.

Quant à la structure, elle est faite d’une colonne vertébrale assurant la stabilité et la solidité de l’ensemble. Constituant le noyau central de la volumétrie, cette ossature très profondément fondée est également réalisée en prémurs de 25 cm d’épaisseur. Au fil de la fabrication de l’ouvrage, qui a demandé un étayage conséquent, de nombreux tests ont été effectués pour garantir tant l’homogénéité de la couleur des bétons que l’autonomie des blocs superposés, grâce à la juxtaposition parfaite des panneaux préservant la continuité des dessins.

Les multiples réunions avec les utilisateurs ont confirmé le fonctionnement impeccable de la capitainerie. Le recours au BIM s’est révélé être un outil essentiel dans la réussite de cet édifice d’exception, dont la présence énigmatique stimule l’imaginaire et exalte la poésie de ce territoire portuaire. 

Localiser la réalisation

 Reportage photo : © Nicolas Da Silva Lucas

Fiche technique

  • Maître d’ouvrage: région Hauts-de-France
  • Maître d’œuvre: Atelier 9.81 (architecte mandataire), LAH/AT (architecte associé), Prems (expert maritime)
  • BET: Verdi bâtiment Nord de France (TCE), Verdi ingénierie Nord-Pas-de-Calais (VRD) 
  • Entreprise gros œuvre: Léon Grosse (mandataire du clos couvert) ; Soriba (préfabricant
  • Surface: 708 m2 SU 
  • Coût: 4 738 836 € HT 
  • Programme: vigie, sous-vigie (locaux de vie et locaux techniques), poste de commande, bureaux et salle de réunion, locaux techniques.



0 commentaires
CAPTCHA
Voir aussi