Face au square, l’articulation entre la façade historique et l’extension.

Au centre d’Évreux, à l’angle de l’allée des Soupirs et de la rue de Grenoble, ce petit théâtre à l’italienne de style Beaux-Arts emprunte son nom à son architecte prénommé Léon. Inauguré en 1903 et protégé au titre des monuments historiques, ce bâtiment compte parmi les plus remarquables de la ville. Léon Legendre avait orienté l’entrée, le foyer et son balcon vers l’ouest où la façade principale du théâtre, ornée des bustes de Corneille et de Boieldieu sculptés par Albert Miserey, regarde aujourd’hui le bel orme de l’actuel square Georges Brassens.

À l’opposé, le drapé de béton habille l’émergence de la cage de scène agrandie.

Entre le beffroi du XVe siècle, la maison des arts, le Pavillon fleuri, l’hôtel de ville et la médiathèque des années 1990, l’édifice occupe une place de choix. Sa rénovation redonne du lustre à un urbanisme désuet marqué par le goût monumental de la IIIe République et la trame régulière de la reconstruction. 

En 2006, l’état de dégradation de l’édifice tant intérieur qu’extérieur avait imposé sa fermeture. La nature du sol ayant ensuite conduit à annuler plusieurs projets, il fallut attendre que Bruno Decaris, Agnès Pontremoli et Pierre Tisserand, les architectes de l’agence OPUS 5, remportent en 2013 une nouvelle consultation lancée par la ville d’Évreux pour que l’opération démarre véritablement. 

Dans l’éclairage nocturne, le dialogue entre le patrimoine et l’architecture contemporaine gagne une forme d’emphase qui théâtralise le lieu depuis l’espace public et met le spectateur en condition.

La première phase de travaux relevait de mesures conservatoires pour stopper les dégradations et établir un diagnostic détaillé des fondations, de la nature des sols et de la structure. La seconde permit de conforter le sol d’assise, les fondations et la structure puis de restaurer et de mettre aux normes le théâtre que complète désormais une extension fonctionnelle en trois séquences, dont un nouveau hall d’entrée accessible à tous. En apportant une contribution décisive à la nouvelle image de cet équipement culturel réputé sans nier la majesté de la façade d’origine, le béton blanc noue un dialogue heureux avec sa matière et ses ornements.

Tout en confortant le sol archéologique, Pierre Tisserand a dû résoudre des questions complexes de plan et de symétrie déportée. Débarrassée des ajouts qui l’altéraient, la façade sud a retrouvé ses proportions, ses percements et sa modénature de brique et de silex. Le vaste hall contemporain, dont la transparence crée une percée visuelle vers l’est de la ville, s’y adosse pour la relier à l’extension latérale qui accueille les loges, le foyer des artistes, les bureaux et une salle de répétition. De même longueur que la façade sud, cette extension étroite et longiligne s’harmonise avec les proportions de l’existant sans l’écraser. À l’arrière du théâtre, une autre addition augmente la profondeur de scène afin de lui donner les fonctionnalités qu’exigent les spectacles contemporains. Elle intègre la plateforme élévatrice d’acheminement des décors et gère la circulation des artistes entre cour et jardin.

Dans l’éclairage nocturne, le dialogue entre le patrimoine et l’architecture contemporaine gagne une forme d’emphase qui théâtralise le lieu depuis l’espace public et met le spectateur en condition.

Le velouté d’un fin rideau de béton de grande hauteur

Respectueuse de l’œuvre initiale, l’intervention s’affirme dans la ville par le geste contemporain témoignant de la nouvelle identité de ce théâtre réputé, qui accueille la scène nationale du Tangram. 

Tel un rideau de scène d’aspect velouté déployé à l’ouest, au sud et à l’est, les façades des volumes neufs drapées de grands panneaux ondulés de béton fibré à ultra haute performance (BFUP) jouent sur la théâtralité qui sied à la destination des lieux. Leur teinte « ivoire » est très proche de celle des pierres du théâtre existant.

 

 

Pour composer cette tenture à l’épiderme lisse et velouté qui est une réelle prouesse technique, 27 panneaux toute hauteur à géométrie variable et de grand format (2,28 m de large sur 13,5 m de hauteur) ont été modélisés puis préfabriqués par l’entreprise Guillerm dans son atelier du Finistère. Pour limiter l’épaisseur courante de ces panneaux à 8 cm et leur poids à 11,2 t selon les règles prescrites par le bureau de contrôle, l’entreprise a fabriqué quatre moules différents en contreplaqué enduit. Des contre-moules en polystyrène ont permis de reproduire le tracé de la forme moulée sur le coffrage et d’obtenir les 8 cm d’épaisseur.

Envolée d’abat-sons dans la transparence du hall.

Romain Guillerm, co-gérant de cette entreprise bien connue dans le domaine de la préfabrication du béton, nous en dit plus sur les particularités de cette mise en œuvre complexe à plus d’un titre : « La complexité tient d’abord à la finesse des panneaux par rapport à leur longueur. C’est en évidant ces éléments pour limiter l’épaisseur à 8 cm que l’on a respecté leur poids limite. Rigidifiés par trois raidisseurs de 15 cm d’épaisseur sur 25 cm de large, en partie arrière, ils sont fixés par des suspentes aux voiles périphériques. Le béton fibré à ultra haute performance de 90 mégapascals utilisé est caractérisé par sa très forte résistance à la compression. Il présente en outre l’avantage de se dispenser de tout ferraillage dans les parties ondulées de faible épaisseur où les fibres font office d’armature, les ferraillages en acier étant réservés aux raidisseurs. »

La précision des liaisons entre le béton et les éléments verriers témoigne d’une mise en œuvre et d’une qualité d’exécution particulièrement soignées.

Transporter ces panneaux de grande hauteur depuis l’usine du Finistère et les relever sur le chantier était un autre challenge. 
Les pièces ont été transportées et livrées à plat. Les relever à la verticale ou de côté avant la pose étant exclu au risque de les briser, un système de berceau métallique constitué de deux profilés (13,50 x 2,50 x 0,40 cm) a été fixé à l’arrière des panneaux pour reprendre le temps d’inertie lors du levage. 

Dans la partie neuve, l’isolation extérieure du bâtiment est intégrée entre la structure en béton banché et la vêture préfabriquée. Afin d’optimiser la pérennité du béton, les panneaux sont traités avec un hydrofuge photo-catalytique qui protège l’épiderme du béton tout en laissant respirer les supports traités.

Scansion des passerelles dans le hall.

Un patrimoine revisité

À l’intérieur, les architectes ont instauré un dialogue aimable et franc entre les parties restaurées ou revisitées et l’écriture contemporaine. Animé par une envolée d’abat-sons d’un blanc immaculé et rythmé par les trois passerelles légères en suspension qui relient le théâtre historique à l’extension dans l’axe de la travée centrale, le hall offre un premier spectacle où tout est fait pour créer un effet d’appel depuis la place de la mairie en favorisant un jeu d’illusion propre au théâtre. La présence du mur de brique et de meulière de la façade sud et les reflets qu’instaure un jeu de miroirs qui occultent quelques percements scénarisent ensuite l’accès vers le foyer historique et la salle.

Aujourd’hui, le directeur technique du Tangram, Frédéric Pilorget, est heureux de l’outil dont il dispose. Réaménagée pour une jauge de 340 places, la salle a retrouvé l’éclat d’un état proche de l’origine avec ses décors restaurés à l’identique. L’intégration de nouveaux équipements techniques (chauffage, ventilation, organes de sécurité, etc.) et le nouveau dessin des sièges ainsi que leur implantation pour répondre aux normes en vigueur ont fait l’objet d’une attention particulière pour ne pas perturber la lecture de la salle historique, mais les loges d’avant-scène ont en revanche fait place aux dispositifs de ventilation.

Dans le foyer historique, deux tableaux d’origine de Charles Denet ont été restaurés.

Bien que celle-ci soit parfois contraignante, la DRAC et l’ABF ont insisté pour conserver la pente du plancher scénique pour sa valeur patrimoniale. Ceux qui ont la chance d’être conviés à une visite du dessous de scène y découvriront des structures en bois et des costières métalliques « ôte décor », témoins des installations de 1903, ainsi que la mécanique d’un autre âge du tampon d’apparition qui permettait à un comédien de jaillir sur scène, quitte à faire frémir les spectateurs.

La salle historique restaurée et adaptée aux attentes techniques d’un théâtre contemporain.

Localiser la réalisation

Fiche technique

Reportage photos : Luc Boegly

  • Maître d’ouvrage : ville d’Évreux
  • Maître d’œuvre : OPUS 5, Bruno Decaris, Agnès Pontremoli, Pierre Tisserand
  • Scénographe : Luc Perrier
  • BET structure : Batiserf Ingénierie
  • BET acoustique : Impédance
  • Entreprise (démolition, terrassement, gros œuvre et VRD) : Léon Grosse
  • Préfabricant : groupe Guillerm
  • Surface : 2 446 m2 SDP, dont 894 m2 pour l’extension
  • Coût : 8 M€ HT
  • Programme : réhabilitation/extension du théâtre construit en 1903, avec création d’espaces d’accueil, d’un atelier de décor, de locaux de répétition et de logistique.



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