La résidence pour chercheurs de l’agence CAB développe une architecture puissante, presque infrastructurelle où béton brut et lumière cadrent des vues d’exception.
La darse de Villefranche-sur-Mer est connue pour son paysage escarpé et ses vues sur la Méditerranée à couper le souffle. Il se trouve que depuis le XIXe siècle, c’est une autre spécificité qui en fait sa particularité : la richesse de sa faune planctonique, qui attire un nombre important d’espèces sous-marines, a permis l’installation d’un observatoire océanologique dès 1809. Ce centre de recherche est aujourd’hui devenu l’Institut de la mer, organisme reconnu internationalement dépendant de Sorbonne Université et du CNRS.
Deux équerres superposées
Le centre d’hébergement nouvellement réalisé par l’agence CAB occupe un site enclavé à l’arrière d’un bâtiment de recherche, sous la basse corniche qui relie Nice à Monaco, au pied de la falaise calcaire. Pour « dégager le terrain » et aller chercher la vue, les architectes ont souhaité gagner de la hauteur. La justesse du calage altimétrique a été un des principaux enjeux du projet. Il s’agissait de profiter de la pente du terrain pour trouver le niveau d’implantation qui permettrait à la vue d’échapper aux toitures du bâtiment aval. Pour ce faire, les concepteurs ont pris le parti de rassembler sur les deux premiers niveaux les locaux techniques et de service ainsi que les stationnements et les laboratoires.
C’est donc au R+3 que s’implantent les locaux communs d’accueil et de convivialité. Il constitue le nouveau niveau de référence du projet, sur lequel deux solides équerres en béton sont venues se superposer. La première s’encastre dans le terrain et s’ouvre au paysage époustouflant de la baie de Villefranche. Elle accueille les salles communes réparties en L autour d’un patio, plan horizontal entre ciel et mer. Au-dessus, la seconde forme une équerre inversée qui reçoit les 44 chambres individuelles ou doubles destinées aux chercheurs.
Tournées l’une vers l’autre, les deux équerres réinventent la figure du cloître et profitent de la pente pour s’ouvrir d’un côté à la vue et à la mer et de l’autre à la colline, révélant une spatialité renouvelée, paradoxe d’une intériorité ouverte au grand paysage. Les usagers profitent ainsi du paysage de la mer, mais aussi de celui des rocailles, de la terre et de la végétation qui s’accroche aux pentes abruptes de la côte niçoise.
Histoire et infrastructure
Inscrit dans un ensemble architectural historique à forte valeur patrimoniale – hôpital des galériens, corderie, caserne et arsenal – dans lequel s’est petit à petit installé le pôle de recherche, le nouveau bâtiment réinterprète leurs caractéristiques communes et s’intègre dans une composition d’ensemble. La minéralité et la massivité du béton brut font écho à la pierre des constructions voisines ; la trame et la verticalité des ouvertures inscrivent en continuité de leurs baies ; la faible hauteur et l’étirement du volume renvoient à leur volumétrie, mais pas seulement…
Ici, le porte-à-faux de 30 m de long qui permet de soulever l’aile des chambres dessine une « architecture infrastructurelle ». Le thème fait écho aux nombreux projets que l’agence niçoise a réalisés dans la région. Le béton brut résonne ici tout particulièrement et fait référence aux ouvrages d’art qui caractérisent le paysage niçois en enjambant ses vallées escarpées. Comme un pont, l’aile qui fait face à la mer franchit 30 m sans appui intermédiaire et repose à ses deux extrémités sur des piles dont une reçoit les circulations verticales. Ce franchissement est rendu possible par les façades longitudinales qui fonctionnent comme des poutres-échelles, avec pour refend les cloisons séparatives des chambres.
Effet Venturi
Aménagé dans le vide généré par ce franchissement, un bassin s’étire sur toute la longueur des 30 m. Selon le principe de l’effet Venturi, l’air pénètre par ce vide, se rafraîchit grâce à l’eau à l’ombre du bâtiment pont ainsi que par évaporation, assurant à la température du patio de perdre deux à trois degrés l’été.
L’air rafraîchi pénètre ensuite de l’autre côté dans les salles de vie collective dont les baies vitrées s’ouvrent en totalité et d’où il s’échappe par des fenêtres hautes.
En balcon au-dessus du patio, des coursives extérieures distribuent l’équerre des chambres des chercheurs qui se développent sur deux niveaux. Ces circulations d’accès aux chambres extérieures autorisées par les conditions météorologiques particulièrement favorables sur la Côte d’Azur réduisent les coûts d’entretien et de fonctionnement du bâtiment en évitant toute consommation d’énergie liée au renouvellement d’air, au chauffage ou au rafraîchissement.
Les chambres, individuelles dans une aile et doubles dans l’autre, s’organisent de façon traversante. Elles sont précédées de seuils qui distinguent chacune d’elles et dans lesquels des volets mis en place ultérieurement permettront la nuit de bénéficier d’une ventilation traversante et d’un free-cooling nocturne tout en assurant l’anti-effraction.
L’intérieur est aménagé comme une cabine de bateau où s’enchaînent les fonctions tout au long du séparatif pour s’ouvrir en balcon sur la baie de Villefranche. Les chambres s’orientent soit à l’est, soit au sud, les baies sont protégées par un dispositif de balcon-casquette dimensionné pour permettre de profiter du soleil en hiver et de s’en protéger en été. Chaque chambre bénéficie d’un espace extérieur de balcon qu’elle partage avec la chambre voisine. L’espace du balcon a été traité de façon particulière, bordé sur ses trois côtés par des brise-soleil horizontaux qui réinterprètent l’archétype de la persienne.
Ces persiennes en tôle d’acier sont mobiles, s’ouvrent et se replient latéralement pour former des brise-vue latéraux. Ils forment une alcôve en position fermée, comme une pièce supplémentaire et ombragée. En position ouverte, les volets deviennent des séparatifs entre balcons, œillères qui masquent la vue du voisin et projettent le regard sur la mer.
Qualité environnementale
Le savoir-vivre architectural et les économies d’énergie sont des thèmes chers aux concepteurs. Nous sommes là dans le Sud, ce qui implique d’importants objectifs en termes de confort d’été notamment.
Semi-enterré et à flanc de colline, le bâtiment bénéficie d’une forte inertie, qui est également renforcée par un principe constructif de double mur coulé en place avec isolant intégré. Les dalles en béton brut participent à la qualité environnementale grâce à leur inertie.
Les toitures-terrasses végétalisées renforcent également celle-ci, permettant un rafraîchissement par évapotranspiration des végétaux et une meilleure rétention d’eau en cas de fortes pluies. Enfin, pour parfaire cette conception bioclimatique et profiter de la proximité de la mer, une géothermie va prochainement être mise en place. Deux pompes à chaleur sur eau de mer vont permettre d’assurer la totalité des besoins de chauffage, mais aussi de rafraîchissement de la résidence au travers des planchers chauffants/rafraîchissants. L’eau chaude sanitaire est quant à elle produite par panneaux solaires, permettant d’économiser 5 448 kg de CO2 par an.
Principaux intervenants
Auteur : Solveig Orth – Reportage photos : Aldo Amoretti
Maître d’ouvrage : Sorbonne université – Maître d’œuvre : CAB Architectes (Jean-Patrice Calori, Bita Azimi, Marc Botineau) chefs de projet : Giancarlo Ranalli et Marine Cangione – BET structure : Turra – BET fluides : Enerscop – BET qualité environnementale : Biotop – Entreprise gros œuvre : Léon Grosse – Surface : 2 400 m2 SHON – Coût : 6,3 M€ HT – Programme : centre d’hébergement pour les chercheurs en océanologie de Sorbonne Université comprenant 44 chambres doubles et individuelles, des espaces de vie collective pour les chercheurs, un laboratoire d’observation océanologique, un auditorium, un learning center, une cafétéria.