Protégée par le béton de ses brise-soleil, cette boîte à lumière est une réponse structurelle aux contraintes antisismiques et aux vibrations liées aux combats.
En 2011, la création du Z5 de Zinedine Zidane à Aix donnait un élan à la carrière de Christophe Gulizzi. Cinq ans plus tard, l’architecte inscrit en périphérie de la ville un équipement dédié aux arts de combat qu’il connaît bien, étant lui-même ceinture noire de judo. « Pour transformer le réel, dans sa dimension sensible et symbolique, tout projet d’architecture relève de la création d’une atmosphère porteuse d’émotions, de plaisirs et de civilité », dit-il. Au-delà de la traduction d’un simple programme sportif, il a donc tenu à faire de cette réalisation « une architecture de plaisir appréhendant l’art du combat dans sa dimension sensible, symbolique et spirituelle, sans orgie de matériaux ni gestes inutiles ». La lumière naturelle devient ainsi son principal matériau.
Face à l’entrée du complexe sportif du Val-de- l’Arc, sur un site désordonné où l’habitat collectif néoprovençal emboîte le pas à une plate-forme de logistique postale, ce monolithe en béton gris pâle installe au moins l’aménité d’un petit monument contemporain, vibrant au soleil et sous les ciels d’orage.
La résolution des impératifs structurels qu’imposent les contraintes sismiques très importantes du secteur (classe 4) se conjuguant ici avec l’impact des vibrations des sauts des sportifs, c’est un élément clé dans l’écriture de l’édifice qui répond par sa clarté, son introversion, ses espaces modulables et ses jardins intérieurs à la concentration indispensable à ces disciplines. Ce bâtiment en béton brut, qui comporte deux volumes séparés par un jardin intérieur et reliés par des passerelles, s’impose ainsi de fait comme une performance technique au service de l’esthétique. Dans une mise en scène précise de l’espace consacré, la lumière naturelle l’inonde depuis le jardin intérieur.
Un filtre vers l’intériorité
Au sud, depuis le parvis, on accède à l’ensemble par le volume de tête qui abrite le hall d’entrée, les salles de gymnastique et de musculation, des bureaux et des locaux techniques. Déployé à l’arrière, le corps de bâtiment principal offre, en son rez-de-chaussée, aux arts martiaux 500 m2 de dojos séparés par des tentures que complètent un espace spectateurs, les vestiaires et des bureaux. À l’étage, la salle d’armes d’escrime profite de douze pistes de compétition.
Scandée par la géométrie biaise de la ceinture de brise-soleil sur sa façade principale, sa façade arrière et en lisière latérale du jardin, l’architecture affiche à l’extérieur une image sobre et apaisante. « Tel un masque de kendo (escrime au sabre) créant un filtre vers l’intériorité, l’écrin protecteur de ces façades en béton gris pâle lasuré symbolise la pureté, l’effort et la concentration », poursuit Christophe Gulizzi. Par le jeu d’un plan incliné et d’un plan vertical, le dispositif des brise- soleil s’apparente au sud à une double façade. Dessinant deux trapèzes inversés quasiment symétriques, reliés par la dynamique d’une oblique, elle est animée par la tension qui s’instaure entre l’entrée biaise du porche et la grande ouverture qui éclaire par un faux effet de loggia la salle d’activités de l’étage.
Afin d’échapper à la banalisation des salles de sport, l’architecte a souhaité traiter le dessin des espaces intérieurs comme un parcours initiatique en créant un préalable émotionnel depuis le sas d’entrée et les passerelles en surplomb du jardin.
Les brise-soleil en béton brut sont tous préfabriqués et revêtus d’une lasure bouche-pores. Les 76 grands brise-soleil de la façade sud sont en forme de « C » et présentent un développé de 12 à 13 m. Les 65 de la façade nord sont en forme de « 7 ». Enfin, chaque côté du jardin intérieur est fermé par 11 lames en équerre. Ces éléments préfabriqués varient dans leur forme et leur épaisseur pour régler la géométrie du volume. Leur poids oscille d’une à quatre tonnes. Ils sont fixés à l’acrotère du bâtiment à l’aide de platines en acier ancrées dans le béton à leur tête lors du coulage pendant la préfabrication. La mise en œuvre de cette géométrie complexe ne pouvant souffrir le moindre déséquilibre, notamment en façade sud, ces éléments métalliques sont munis de vis de réglage afin d’ajuster très précisément les brise-soleil dans tous les sens avant d’accrocher ces pièces à l’acrotère. Ces vis ont permis de tenir les alignements et les parallèles lors du montage de la façade. En façade arrière, les petits brise-soleil masquant la salle d’escrime sont également préfabriqués et mis en œuvre à l’identique.
Si l’édifice tient aussi d’un ouvrage d’art car la technique de construction du plancher du dojo s’apparente à celle d’une passerelle, l’ingénieur Romain Ricciotti insiste sur la puissance et le traitement de l’ensemble des structures en béton brut : « Qu’il s’agisse des poutres de grande portée en béton haute performance précontraintes par fil adhérent, des brise-soleil préfabriqués ou des voiles en béton coulés en place toute hauteur sur huit mètres de haut, l’ensemble des structures restées apparentes allie puissance intérieure et élégance de finition, en résonance avec l’exigence de la pratique des arts martiaux. » (Voir aussi l’encadré.)
En termes de démarche développement durable et énergétique, l’architecte insiste sur le fait qu’il privilégie le bon sens à la définition de cibles. La double façade crée un tampon thermique et les brise-soleil protègent aussi du vent. Ce bâtiment, qui intègre des rupteurs de pont thermique, est isolé par l’intérieur et le béton des murs et de sous-faces de plafonds laissé brut contribue également à l’inertie thermique. La protection acoustique est assurée par les rideaux et les tentures séparatives.
2 questions à Romain Ricciotti, ingénieur du BET Lamoureux & Ricciotti
Le bâtiment abritant les salles d’armes et le dojo se caractérise par des solutions structurelles peu courantes qui répondent à l’esthétique souhaitée par l’architecte…
Dans cet édifice très compact et en dépit de son plan de grandes dimensions (25 x 36 m dans la plus grande diagonale), le bâtiment principal est construit avec de grands plateaux sans joints de dilatation. Cette solution optimise l’efficacité des contreventements tout en évitant tout point porteur intérieur pour mettre en valeur la qualité spatiale des salles. Dans cette région soumise à de fortes variations de température et d’hygrométrie, où il est toujours plus facile de fractionner les bâtiments par des joints de dilatation, cette solution est très inhabituelle.
Elle a été rendue possible par une méthode de calcul des structures reposant sur un calcul fin des éléments finis de l’ouvrage intégrant l’interaction sols-fondations et le comportement thermique. Réponse efficace aux objectifs de plans libres et de grande portée indispensables aux activités sportives, ce monolithisme constructif optimise aussi le comportement parasismique d’un édifice situé dans une zone sismique 4, la plus forte en France métropolitaine.
Comparable à celle d’une passerelle, la technique de construction des planchers du dojo tient de l’ouvrage d’art…
Les planchers sportifs de la salle d’armes sont structurés par de grandes poutres en béton à hautes performances de section en « π », et précontraintes par fils adhérents. Elles s’appuient d’un côté sur une poutre classique située derrière la tribune et, de l’autre en façade nord, sur une bande noyée très ferraillée, portée par des poteaux de forme triangulaire. Cette technique libère un plan libre de 15 m de portée et 36 m de longueur. Elle consomme également très peu de hauteur sous poutre et autorise, avec ses nervures, une gestion astucieuse des réseaux techniques. Mieux, la structure participe naturellement à la qualité sonore de l’espace, en formant des pièges à son entre les nervures précontraintes. Le plancher crée un diaphragme parasismique et a surtout fait l’objet d’une approche de calcul normalement dédiée aux grandes passerelles élancées en évaluant le confort d’usage via le calcul des accélérations et vibrations ressenties par les escrimeurs à l’entraînement ou en compétition.
En toiture, des PRS (poutres reconstituées soudées) de charpente métallique franchissent toute la salle d’armes en créant un vaste plan libre de 25 m par 36 m. In fine, on loge la salle d’armes directement au-dessus du grand dojo, ce qui est rare mais efficace pour des équipements sportifs.
Reportage photos : Lisa RICCIOTTI et Mathieu DUCROS
Maître d’ouvrage : ville d’Aix-en-Provence – Maître d’œuvre : Christophe Gulizzi, architecte– BET structure : Lamoureux & Ricciotti Ingénierie – Entreprise gros œuvre : Travaux du Midi – Surface : 1 793 m2 SHON – Coût : 3,1 M€ HT – Programme : équipement sportif regroupant un dojo divisible en 3 aires d’évolution lors des entraînements et 3 aires de combat de 12 x 12 m avec un espace spectateurs – Espace escrime offrant une salle d’armes de 14 pistes – Salle de musculation du PAUC – Locaux d’accueil et logistiques mutualisés.