Grâce à un système complexe de fondations, constitué d’une large paroi moulée tirantée et de pieux en béton armé s’enfonçant profondément dans le sol, la majestueuse tour Hekla et ses 220 mètres de hauteur peut s’ériger fièrement, et en toute quiétude, dans le ciel du quartier d’affaires de la Défense. Explications.
À la Défense (92), les tours se suivent mais ne se ressemblent pas ! Point culminant du premier quartier d’affaires européen, la tour Hekla et ses 220 mètres de haut, inaugurée en décembre 2022, tutoie le ciel : ses 48 étages déploient une surface de bureaux de 76 000 m2 et peuvent accueillir 5 800 personnes. Pour assurer sa stabilité, ce géant de béton et de verre, conçu par le célèbre architecte Jean Nouvel, s’enracine profondément dans le sous-sol de la Défense.
Une paroi moulée comme fondation et soutènement
Ses fondations sont en effet à la mesure de son gigantisme. Celles-ci sont de deux types. Une paroi moulée en béton armé d’une part. Ancrée dans le substratum rocheux à 32 mètres de profondeur, elle forme un polygone dont les côtés suivent les contours de la tour. « Cette paroi moulée possède une double fonction, expose Arnaud Lelimousin, ingénieur projet, responsable du chantier pour Soletanche Bachy France, en charge de la réalisation des fondations de la tour. Elle reprend d’une part les descentes de charges des poteaux périphériques de la tour et, d’autre part, elle constitue le soutènement nécessaire à la réalisation des six niveaux de sous-sol, à usage de parkings et de locaux techniques. » D’autre part, cette fondation profonde est complétée d’un ensemble de 131 pieux en béton de 23 mètres de longueur, réalisés depuis le fond de la fouille, et destinés à supporter les charges des structures intérieures de la tour.
Du coulis de ciment pour « étanchéifier » le sol
Avant de pouvoir démarrer la construction de ce système de fondations complexe, les équipes de Soletanche Bachy ont procédé à une phase de travaux préparatoires. Celle-ci consistait à déconstruire les ouvrages existants sur l’emprise – une partie d’échangeur routier et une rampe d’accès au boulevard circulaire. Dans le même temps, l’entreprise a procédé au prétraitement du sol. « Par l’intermédiaire de 120 forages de 30 mètres de profondeur, nous avons injecté du coulis de ciment dans le sol, sur le tracé de la future paroi moulée, afin de combler les vides par lesquels pourrait s’échapper la boue utilisée dans le processus de construction de la paroi moulée (voir encadré 1). »
Un coulage continu de 200 m3 pour chaque panneau
Une fois cette étape de préparation terminée, les équipes travaux ont pu réaliser la paroi moulée. Celle-ci se décomposait en 32 panneaux de 6,5 à 7 m de large, 1 m d’épaisseur et 32 mètres de profondeur. En tout, 200 mètres linéaires de paroi moulée ont été fabriqués. « Nous bétonnions 3 panneaux de 6,5 à 7 m de large par semaine. Pendant deux semaines, nous avons même réussi à produire 4 panneaux ! », se félicite Arnaud Lelimousin.
Chaque panneau, constitué d’environ 200 m3 de béton, devait être coulé en continu. Une contrainte qui nécessitait de préparer bien en amont l’approvisionnement. « Nous pouvions couler uniquement le matin, entre 7h et midi. Avant d’amorcer le coulage d’un panneau, nous nous assurions de la présence de deux camions malaxeurs sur chacune des deux colonnes de bétonnage. Puis nous démarrions le bétonnage, les toupies se succédant alors après avoir attendu en file indienne sur la voie réservée. » Ce ballet finement synchronisé a permis de tenir une cadence de coulage de 60 m3 par heure.
Les travaux se sont poursuivis par la réalisation de la poutre de couronnement qui surmonte la paroi moulée. « En liaisonnant structurellement les panneaux entre eux, cette poutre massive – 3 à 6 mètres de hauteur pour 1 mètre d’épaisseur – permet de diffuser les charges verticales de la tour de manière homogène sur les panneaux de paroi moulée sous-jacents », précise Arnaud Lelimousin.
Des tirants d’ancrage pour limiter la déformation de la paroi...
Puis les terrassements à l’intérieur de l’enceinte formée par la paroi moulée ont pu démarrer, afin de l’évider. Au fur et à mesure de l’excavation, des paliers étaient ménagés sur la plateforme pour pouvoir installer des tirants d’ancrage. « Ces tirants précontraints provisoires, d’une vingtaine de mètres de long, étaient mis en place à travers la paroi. En contrant la poussée des terres, ils permettaient de tenir la paroi moulée, ou du moins d’en limiter la déformation à l’avancement. » En tout, jusqu’à quatre niveaux de tirants d’ancrage ont été mis en place sur toute la hauteur de la paroi jusqu’au fond de fouille, à 22 mètres de profondeur.
... et permettre la descente d’imposants matériels en fond de fouille
« Nous avons ainsi pu maintenir la fouille à ciel ouvert jusqu’au bout. Nous avions en effet besoin de disposer de cette ouverture pour pouvoir descendre l’atelier de forage de pieux dans le fond de la fouille. Cette spectaculaire opération de grutage constitue d’ailleurs l’un des moments forts du chantier : en moins de dix heures, une grue mobile de capacité 700 tonnes positionnée à la surface, au bord de l’excavation, a ainsi descendu 22 mètres plus bas une foreuse de plus de 70 tonnes, une grue sur chenilles de 45 tonnes, une pelle mécanique et l’intégralité des outils de forage ! »
Ainsi installé au fond de l’excavation, cet atelier a pu réaliser 131 pieux Starsol ® de gros diamètre (1 200 mm) et de 23 mètres de profondeur, ancrés dans le calcaire grossier de la Défense, et destinés à reprendre directement les descentes de charges des poteaux intérieurs de la tour Hekla.
Les étapes-clés de fabrication de la paroi moulée
La technique de mise en œuvre des 200 ml de parois moulées de la tour Hekla suit un protocole précis. Tout d’abord, des murettes-guide sont construites. D’environ un mètre de hauteur, ces éléments sont destinés à assurer la verticalité de la future paroi. Une fois ces guides réalisés, une benne preneuse à câble ou une hydrofraise – une haveuse de paroi mise au point par Soletanche Bachy dédiée aux sols durs – fore le sol par panneaux de 6,5 à 7 mètres de large tout en injectant dans la fouille une boue bentonitique, à base d’argile. Cette boue aux propriétés thixotropiques (*) est un élément clé du processus puisqu’elle tient la paroi sur toute sa hauteur en attendant le bétonnage. Une fois cette tranchée profonde (32 m de profondeur pour 1 m d’épaisseur) creusée, une cage d’armature aux dimensions tout aussi exceptionnelles est levée à l’aide d’une grue puis elle est introduite sur toute la hauteur. Le coulage du béton peut alors commencer via des tubes plongeurs. Pour chaque panneau, les 200 m3 de béton sont coulés en continu via deux colonnes de bétonnage. La boue, moins dense, est poussée par le béton vers le haut puis pompée pour être recyclée. Des joints polymères « water stop » pris à moitié dans deux panneaux successifs assurent l’étanchéité de la paroi.
(*) La thixotropie est la propriété qu’ont certains fluides de passer d’un état visqueux à un état liquide lorsqu’on les agite et de retrouver leur état initial après un temps de repos.
Paroi moulée : un bétonnage de grande hauteur et à l’aveugle
La mise en œuvre de fondations profondes, et des parois moulées en particulier, est soumise à une contrainte singulière : « Nous bétonnons à l’aveugle dans le sol, sur des hauteurs très importantes, synthétise Arnaud Lelimousin. Il est donc primordial de nous assurer que le béton se répartira à coup sûr de manière homogène dans la fouille, et sans vibration. C’est pour cela que nous sommes très exigeants sur ses performances. » Le béton des parois moulées doit ainsi être fluide, mais sans contenir toutefois une trop grande proportion d’eau – ce qui peut favoriser la ségrégation des granulats. Le caractère fluide est ainsi obtenu par addition de plastifiants.
Le ciment est pour sa part de type CEM III/A PM/ES. « Dans ce type de ciment, adapté aux environnements agressifs - le béton est ici en contact direct avec le sol - une proportion importante du clinker est remplacée par des laitiers de haut-fourneau, ce qui limite la chaleur générée lors de la prise du béton, et améliore de fait la maîtrise des risques d’apparition de pathologies structurelles », conclut Arnaud Lelimousin.
Localiser la réalisation
Fiche technique
Reportage photos : © Cedric HELSLY, © Arnaud LELIMOUSIN
Chiffres
Tour Hekla
- 220 mètres de haut
- 49 étages
- 76 000 m2 de bureaux
- 5 800 personnes accueillies
- Coût du projet : 270 millions d’euros
Fondations
- 32 panneaux de parois moulées : 1 m d’épaisseur – 6,5 à 7 mètres de large.
- 131 pieux Starsol®
- 9,25 millions d’euros : montant du marché de fondations
Fiche technique
- Maîtrise d’ouvrage : HEKLA
- Architecte : Ateliers Jean Nouvel
- Maîtrise d’œuvre : Artelia/EGIS
- Maîtrise d’œuvre géotechnique : Fugro
- Entreprise générale : BATEG (groupe VINCI)
- Entreprise Fondations : Solétanche Bachy France (paroi moulée, tirants) Solétanche Bachy Fondations Spéciales (pieux Starsol ®)
- Période chantier de fondations : juillet 2018 – juin 2019