La ligne 2, longue de 13,2 km, comprend 3,2 km en tunnel et 4 gares souterraines. Les entreprises ont dû gérer une géologie complexe et l’exiguïté des zones de travaux.
Depuis bientôt deux ans, une partie du port de Nice accueille trémies, tapis roulants et autres silos de stockage de ciment... Afin de minimiser l’impact sonore et visuel, la centrale à béton est dissimulée derrière un habillage de grandes bâches tendues insonorisantes, couvertes de reproductions de photos des monuments alentour.
Pour réduire au maximum les nuisances pendant la phase de chantier, la Métropole Nice Côte d’Azur, maître d’ouvrage, a scindé le projet en deux : une partie de la ligne à « l’air libre » et une partie souterraine dans les quartiers les plus denses de la ville. Ainsi à l’est, après la station du port Lympia située sur un quai, la ligne plonge dans les entrailles de la Terre jusqu’à la rue de France (une artère parallèle à la Promenade des Anglais), 3,2 km plus loin, où elle sort à l’air libre pendant 4,5 km. Elle se divisera alors en deux branches, l’une vers l’aéroport, l’autre vers le centre administratif, au nord.
Une zone de chantier au millimètre
C’est à l’automne 2014 que les travaux ont débuté à l’est de la ligne, rue Ségurane, à trois cents mètres environ du port, par des diagnostics archéologiques et la déviation des réseaux souterrains. Cette longue rue au pied d’une colline jouxtant le Vieux Nice est d’un accès particulièrement complexe. Ce qui a engendré une organisation millimétrée de la zone de chantier et d’approvisionnement, et son déploiement sur deux sites : une centrale à béton occupe un quai du port, et l’approvisionnement en béton et en coulis de ciment est réalisé en flux tendu par camions, jusqu’au puits d’entrée du tunnel situé à 300 m.
À cause de l’étroitesse de la rue, la trémie du puits d’entrée est réduite au maximum, paramétrée pour introduire les éléments du tunnelier jusqu’à une « boîte » de 55 m x 12 m et descendant progressivement à 20 m de profondeur. Il était donc « impossible d’assembler tous les éléments du tunnelier sur le site, mais nous avons dû pousser au fur et à mesure le train afin de lui ajouter les divers éléments », explique Didier Charrin, responsable du chantier du tunnel pour le maître d’ouvrage. Autre conséquence de l’exiguïté de la zone de chantier, l’alimentation en flux tendu de tous les matériaux, y compris les 14 560 voussoirs de 6 tonnes chacun (hormis le voussoir de clef de voûte, plus léger), qui ont été acheminés quotidiennement depuis l’usine de préfabrication Stradal de Beaucaire !
Exfiltration des déblais par la mer
L’évacuation des quelque 200 000 m3 de déblais de forage du tunnel représentait une autre gageure et une exigence forte du maître d’ouvrage, soucieux de réduire au maximum les nuisances. Une fois excavés et concassés par le tunnelier, puis mélangés à de la boue, les déblais ont été évacués au fur et à mesure de la progression du tunnelier, via une conduite de marinage souterraine, puis acheminés vers la centrale de traitement implantée sur le port. Là, ils ont été exfiltrés par la mer, après avoir été « asséchés ». Plusieurs fois par semaine, de grandes barges chargées de plus de 2 000 tonnes de déblais ont effectué des rotations vers une plate-forme de recyclage située à Fos-sur-Mer. Pour la réalisation du tunnel, le port de Nice s’est ainsi mué en centre névralgique : en effet, une deuxième canalisation, est-ouest celle-là, a permis d’alimenter le tunnel en boue bentonitique, indispensable pour stabiliser le front de taille lors du creusement, avant la mise en place des voussoirs.
Un tunnel en zone contrainte
17 mois ont été nécessaires pour réaliser les 3,3 km du tunnel monotube, grâce à Catherine (en hommage à l’héroïne niçoise Catherine Ségurane), un tunnelier à pression de boue construit sur mesure par l’entreprise allemande Herrenknecht. Il présente un diamètre de creusement de 9,7 m, pour une longueur totale de 78 m, dont 10 pour le bouclier. « C’est l’un des plus grands tunneliers au monde actuellement en service », précise Didier Charrin. Il a été acheminé en pièces détachées par convois exceptionnels, sur plus de 2 000 km, puis monté sur place.
Gérer une géologie complexe...
Globalement, trois types de terrains ont été diagnostiqués : un à matrice argileuse et composé de marnes et de galets sous l’ancien lit du fleuve du Paillon, des terrains à dominante sableuse et argileuse, et enfin, des calcaires. Et malgré les multiples carottages, les surprises ont émaillé le chantier, comme devoir passer par trois profils géologiques, de l’argileux, du sableux et des galets, en seulement 3 anneaux de voussoirs (4,8 m) ! Aussi, les équipes ont dû paramétrer régulièrement les qualités de boue et de pression de creusement du tunnelier. Pour faire face à ces incertitudes géologiques, la tête de coupe du tunnelier était mixte, équipée de 44 molettes faciales de 17 pouces, et 14 en périphérie, ou encore de 164 dents et 16 racleurs périphériques... La course du tunnel est comprise entre - 22 et - 25 m de profondeur, avec plusieurs courbes, dont la plus serrée présente un rayon de 250 m. Chacun des anneaux du tunnel est constitué de 8 voussoirs en béton armé, dont 7 identiques de 160 cm de largeur et 40 cm d’épaisseur, et d’un voussoir-clé biseauté et de dimension très réduite. Pour assurer la livraison du mortier de bourrage injecté derrière les voussoirs (sur 15 cm d’épaisseur environ), une benne faisait la navette toutes les deux heures, de l’entrée du tunnel près du port jusqu’au train du tunnelier.
... avec une cadence maintenue
Durant les premières semaines de chantier, la progression du tunnelier était de 8 m par jour, grâce aux équipes tournant en 3 x 8, sauf le dimanche. Rapidement, les cadences ont atteint 10 voire 11 m, selon la typologie du terrain. La ligne souterraine traverse 4 stations, dont les travaux ont débuté après le passage du tunnelier. Aussi, pour les parties de tube correspondant aux futurs quais des stations, Stradal a fourni des voussoirs en béton fibré (dosage 40 kg/m3) pouvant être plus facilement détruits au moment du terrassement des stations. Si le montage du tunnelier a été complexe, le démontage, cet été, le fut tout autant. En fin de course, le puits de sortie de Grosso a été rempli d’eau « comme une gigantesque piscine » afin d’équilibrer les pressions de part et d’autre des parois du puits au moment de l’arrivée du tunnelier et du perçage des parois ; ce qui a permis alors le démontage du tunnelier dans des conditions optimales.
Des stations souterraines en géologie chahutée
La ligne 2 comprend 20 stations, dont 4 souterraines, un puits d’entrée et un de sortie. Trois stations sont réalisées sur une même typologie, une boîte longitudinale de 60 m x 15 m et de 30 à 40 m de hauteur, agencée sur trois niveaux : le niveau bas pour les quais et le plan de roulement du tramway, le niveau médian accueillant des mezzanines constituées de dalles de béton, ainsi que des passerelles permettant de desservir les deux quais, et enfin, le niveau supérieur qui permettra d’installer la billetterie et les locaux techniques. Cette typologie commune a cependant nécessité des réponses diverses, en fonction de la géologie.
Ainsi, la station Garibaldi, sous la place éponyme, est implantée dans un terrain torturé, constitué en grande partie par des éboulis calcaires très durs, sans parler de la présence d’anciennes fortifications devant être traversées par les parois moulées ! Aussi, l’entreprise Soletanche Bachy, en charge des travaux souterrains au sein du groupement Thaumasia, a fait intervenir une hydrofraise compacte, plus adaptée grâce à son gabarit, à son emprise réduite au sol et à sa grande capacité de forage dans des sols très durs. Les parois étaient imposantes, du fait de la géologie : 1,5 m d’épaisseur, sur 30 m de profondeur.
Les stations Durandy et Alsace-Lorraine sont implantées dans des couches géologiques très chahutées. « Nous sommes dans des conditions hydrogéologiques complexes, dans des terrains alluvionnaires. Ainsi, à la station Alsace-Lorraine, l’eau n’étant qu’à 2 m du fond de la cuve, nous avons dû injecter le sol sous le niveau du radier », précise Yannick Sherer, ingénieur et responsable des travaux souterrains chez Egis. Autre difficulté, pour s’ancrer dans des terrains favorables, les parois sont descendues en moyenne à 40 m, et jusqu’à 45 m à Durandy, pour atteindre un substratum étanche. Aussi, pour résister aux poussées extrêmes, « les parois moulées de 120 à 150 cm d’épaisseur ne sont pas linéaires, mais raidies par des contreforts en béton en forme de T de 160 cm pour limiter les déplacements, ce qui est très rare », ajoute Houssame Belkouri, responsable des travaux de la station Durandy chez Egis. La station Durandy est la plus complexe, la seule à ne pas être linéaire. Elle est constituée d’une « boîte » principale pour la ligne et les quais de 60 m x 15 m, avec des parois moulées de 150 cm d’épaisseur et de différentes hauteurs, jusqu’à 46 m, et de deux boîtes plus réduites sur les côtés, accueillant les accès et divers locaux techniques.
Pour la réalisation des stations, trois centrales à béton sont mises à contribution, dont une de secours, afin de fournir les 80 000 m3 de béton des parois moulées et les 60 000 m3 des stations ! L’ensemble des opérations de Génie Civil des stations devrait être terminé début 2018, pour une mise en service complète fin 2019.
Chiffres clés
Longueur : 11,3 km
Tunnel : 3,2 km
Voussoirs en béton : 14 560 unités
Ciment Calcia : Duracem 52,5 N HRC de Beaucaire
Bétons parois moulées et stations : 140 000 m3
Ciments Vicat : CEM III/B 42,5 N LH SR ; CEM II/A-S 42,5 N ; CEM I 52,5 N
Reportage photos : © Ville de Nice, Didier Quillon ; © Métropole Nice Côte d’Azur – ESSIA – ENODO
Maître d’ouvrage : Métropole Nice Côte d’Azur – Maître d’œuvre : Essia, constitué de Egis Rail mandataire, Ingérop, Stoa Architecture, Atelier Villes & Paysages, Pierre Schall – Entreprises : Thaumasia, groupement constitué de Bouygues TP, Soletanche Bachy, CSM Bessac, Snaf et Colas Midi-Méditerranée – Bétons : Vicat (3 stations et le puits de sortie) ; Bétons Niçois & Lafarge (station Jean Médecin) – Coût : 721 M€ HT.