Construite sur un site privilégié, cette maison de famille, à la fois rustique et sophistiquée, regarde vers la mer. Ses parements de béton brut l’intègrent harmonieusement au paysage.
Tout d’abord, on voit la mer que l’on traverse, accompagné par la haie d’honneur multicolore des kitesurfeurs. Ensuite, il y a à nouveau la côte, trait vert foncé qui dissimule des criques sablonneuses au creux des rochers. Et puis, on découvre cette pente de -20 % présentant 12 m de dénivelé scindés en 4 restanques de schiste qui découpent horizontalement un site escarpé qu’un passé horticole a généreusement paré de pins et de chênes verts.
Nous sommes à l’extrémité de la fameuse plage de l’Almanarre sur la presqu’île de Giens. La situation est unique car c’est l’un des rares lieux où la vue sur la mer s’oriente au nord, vers la côte française, sans être sur une île. La situation admirable et étrange à la fois !
Une maison de famille
La commande est simple, aussi simple que le site est merveilleux : construire une maison de famille, ouverte à la vue et à la nature pour « se fabriquer des souvenirs à l’eau de mer », comme le dit le commanditaire. L’histoire de la maison est d’abord celle de cet homme né dans le sud de la France et vivant à Paris. Sportif et bon vivant, il ambitionne pour ses vieux jours une maison remplie du son de ses proches et de bonnes odeurs de cuisine. Un lieu d’héritage où s’entassent les petits trésors de chacun.
Cinq chambres sont envisagées pour accueillir cette grande famille. Deux d’entre elles constitueront un pavillon indépendant pour les amis. Enfin, de généreuses pièces de vie viendront fédérer l’ensemble en profitant de vues d’exception.
Comment répondre à ses souhaits ? Difficile gageure pour les architectes Stanislas Zakarian et Olivier Navelet de concilier une commande intime et une construction collective compte tenu des autorisations administratives drastiques régissant les constructions dans ce paysage protégé et bientôt Natura 2000 de la presqu’île de Giens.
Pour ce faire, il a été nécessaire de « convoquer l’essentiel », pour reprendre les termes des architectes, « éviter toute posture, rester simple et généreux et surtout placer les préoccupations du commanditaire au centre du projet. Nous avons cherché à associer ses aspirations aux espaces de vie méditerranéens, oscillant entre le dehors et le dedans et gommant la limite au maximum ; convoquer la beauté brute de Sifnos (Cartier Bresson 1961) et l’effacement du domaine du Gaou Bénat (conçu par les architectes André Lefèvre et Jean Aubert). Il a fallu trouver le meilleur endroit où poser la maison sur le sol, la connecter aux éléments naturels. Nous avons recherché le frais dans ce site arboré et venté, en créant des espaces ombragés, protégés du vent, ouverts à la vue, mais aussi au soleil. »
Habiter la place
Les architectes ont ainsi en premier lieu déterminé le cœur de la maison. Il est ici extérieur, compte tenu des conditions météorologiques favorables. C’est une place comme dans un village. Elle s’implante sur la plus haute des restanques pour dominer le site, articuler les espaces et provoquer les rencontres. Des pavés en calcaire au sol symbolisent la place de village méditerranéenne. Un large banc en béton et un olivier viennent l’agrémenter.
Autour de cette place, des volumes bas en béton s’étirent pour recréer des plateformes dans la pente. Le pavillon indépendant se matérialise en un cube implanté à l’ouest de la place, alors que la maison, à proprement parler, prend place de l’autre côté dans deux volumes rectangulaires. En continuité de la place s’organisent la cuisine et sa salle à manger, comme un niveau de référence. Jeux de pente, ces volumétries élémentaires se complexifient en introduisant trois demi-niveaux décalés de 80 cm. Ceux-ci s’étirent systématiquement de plain-pied vers l’extérieur, créant une grande variété de points de vue, conférant ainsi à chaque espace son caractère particulier.
Chaque lieu s’oriente vers un point cardinal et un morceau de paysage, mer, pinède ou place, inventant sa propre relation au paysage, multipliant les situations et les « surfaces d’échanges » avec l’extérieur. Multiple et généreuse, la maison profite ainsi de tout ce que le site avait à offrir. Renforçant le lien entre l’intérieur et l’extérieur, chaque pièce de la maison ne peut s’envisager qu’avec son prolongement extérieur, comme si au-delà de l’architecture la maison devenait « aménagement paysager ». Héritage des architectes sans doute, car ils ont travaillé en Espagne, à Barcelone pour Stanislas Zakarian et à Séville pour Olivier Navelet, sur des problématiques d’aménagement urbain et paysager.
Les parois extérieures de la maison, tout comme les plafonds et les refends intérieurs, présentent des parements en béton brut de décoffrage. Stanislas Zakarian considère le béton comme notre ressource territoriale et sociale, «Il révèle la beauté propre du dessin naturel des matières premières.
Dans ce projet, sa plasticité nous permet de décliner son emploi dans les trois dimensions. Il est à la fois mur, toiture, sol extérieur, banc et escalier. Nous avons joué avec ses différents aspects de surface : lisse, il est chaleureux et se transforme en assise. Balayé, il délimite les espaces extérieurs. Texturé, son toucher est rugueux et crée des aspérités. Son coffrage en planches horizontales de bois de 8 cm de largeur provient de la lecture horizontale du site». L’entreprise de gros œuvre a construit ses coffrages en pin, à l’ancienne. Les planches présentent un profil identique de 8 cm de hauteur. Un soin particulier a été porté au calepinage de manière à agencer les bois selon une apparence aléatoire tout en assurant la présence d’une planche entière pour l’arase supérieure des volumes.
La prouesse de mise en œuvre réside dans la qualité d’exécution qui se retrouve tant sur les surfaces courantes que dans le traitement des détails. Plusieurs teintes de béton ont été testées auprès de la centrale afin de déterminer celle qui se marierait le mieux avec le paysage environnant, la plus claire a été finalement choisie. La maison est réalisée en béton autoplaçant, adapté au coffrage bois. Il est recouvert d’un hydrofuge qui le protège de l’agressivité des embruns. Au final, le béton n’a rien de froid, le dessin des planchettes crée une surface vibrante sous le soleil à laquelle le bois des baies apporte de la chaleur.
Béton et confort d’été
Afin de renforcer la massivité, l’épaisseur du matériau est mobilisée. Elle se traduit à travers la profondeur des percements. Les parois vitrées se placent en retrait de 60 m. Seule dérogation à cette règle, la baie fixe de l’angle nord, qui elle est posée au nu extérieur. Dérogation pour mieux faire comprendre le retrait des autres baies, l’épaisseur de la matière, l’ombre et la lumière.
Cette épaisseur garantit également un bon confort d’été, en s’associant à une orientation nord-sud et à une ventilation traversante. Il fait frais, l’été, comme dans les mas provençaux. La maison profite d’un plancher chauffant/
rafraîchissant alimenté par une pompe à chaleur. Grâce à la bonne inertie du béton et à une conception bioclimatique en parfaite concordance avec le site, elle n’est que rarement allumée l’hiver et ne trouve aucune utilisation pour le confort d’été. Celui-ci étant simplement assuré par les bises judicieusement captées par l’ouverture des baies persiennées.
Une réalisation d’exception que vous pouvez également retrouver dans le livre The Lying Forest publié aux éditions Sometimes, qui évoque la sensibilité, la permanence et les aspérités du béton via les regards du photographe Stephen Dock et de l’écrivain Arnaud Maïsetti.
Principaux Intervenants
Maître d’ouvrage : privé – Maître d’œuvre : Zakarian-Navelet architectes urbanistes – Entreprise gros œuvre : PiersoBat – Surface : 230 m2 SDP – Coût : non communiqué – Programme : cuisine et salle à manger, salle de séjour, 3 chambres, 2 salles de bains, 1 pavillon d’amis, 1 bassin de nage, 1 terrain de boules.