L’architecte Emmanuelle Colboc compose un ensemble atypique associant bureaux et logements dans un même édifice sculpté dans le béton. Si, aujourd’hui, on retient avant tout du Havre son port de commerce ou sa reconstruction en béton orchestrée par l’atelier d’Auguste Perret, la ville doit faire face à la rénovation et à la restructuration de ses quartiers périphériques. Dans cet esprit, le bailleur social Alcéane a souhaité participer à la redensification du quartier en investissant un terrain inscrit dans une de ces zones suburbaines « classiques ».
Désenclavé depuis peu grâce à la mise en service d’une ligne de tramway, le quartier est en pleine mutation. Rénovation et opérations de logements de petite échelle tentent de remédier au manque cruel de structure urbaine du site et à son tissu distendu. La parcelle choisie borde l’avenue du Bois du Coq, un axe majeur sur lequel circule le tramway, la reliant directement au centre-ville et à la plage. Dans son programme, le maître d’ouvrage insistait sur la nécessité de créer un projet atypique qui se
« démarque » du contexte et s’impose dans cet environnement en manque de caractère. Face à cette demande, l’image qui s’est imposée à Emmanuelle Colboc fut celle d’un rocher allongé, ancré dans le site – un rocher qui aurait été sculpté au fil du temps par les vents dominants balayant le plateau.
Une peau protectrice
Ses premières esquisses du siège social en témoignent et dévoilent fidèlement la structure finale du projet. Elles dessinent un volume chahuté, mais dans l’orthogonalité, fait de pleins et de vides, qui est à même de conserver un certain mystère quant à sa structure et ne donne pas à lire, dès le premier regard,
le nombre de niveaux qui le composent. Pour donner corps à ce rocher, le béton s’est imposé à Emmanuelle Colboc, pour la rugosité de surface qu’il permet et pour la massivité qu’il peut dégager. Il s’agit ici d’un béton brut matricé façon coffrage à la planche. L’un, à planches serrées, symbolise le socle du rocher par la création d’un soubassement de 2 m de haut ; l’autre, plus « sage », à planches plus larges, sert aux parties supérieures des façades.
Outre cette peau vibrante, le rocher est caractérisé par ses évidements. Les creux accueillent des jardins et rappellent la mousse qui se niche dans les anfractuosités de la pierre. L’irrégularité de la volumétrie extérieure ne se limite pas à un jeu architectural. Elle permet surtout de diffuser de la lumière naturelle dans tous les locaux, circulations comprises. Pour conserver au maximum l’abstraction du jeu des pleins de la façade principale, l’entrée du siège social se situe à l’angle de la rue Florimond Laurent. Les différents locaux et bureaux se répartissent sur trois niveaux et profitent de vues variées, notamment sur les jardins ou terrasses plantées.
Qualité des matériaux, acoustique de très grande qualité, volumes bien proportionnés et lumière travaillée en font des espaces confortables et enveloppants, à l’instar des circulations déclinées dans des teintes chaudes en contraste avec les vues sur l’extérieur – un parti que résume parfaitement Emmanuelle Colboc : « Toute la rugosité souhaitée à l’extérieur se transforme en douceur habitée à l’intérieur. »
À ce rocher à l’horizontale, accueillant le siège social, viennent s’ajouter 22 logements réunis dans une petite tour en R+7 occupant l’angle nord du site. Même si l’accès et l’organisation des logements sont totalement indépendants, les deux volumes font corps sur les premiers niveaux et s’articulent autour d’un parking extérieur installé au cœur de la parcelle. Situé en décaissé par rapport au niveau 0, le parking se fait ainsi plus discret pour les occupants des bureaux du rez-de-chaussée. Côté logements, la recherche d’un habité de qualité prime encore plus largement. Les appartements sont baignés de lumière naturelle et les volumes imbriqués, pour que chaque logement puisse bénéficier d’au moins deux orientations. Ici, le travail de la volumétrie, par un jeu de déboîtement et de décalage, autorise un placement des ouvertures évitant les vis-à-vis. Les habitants profitent de vues dégagées, d’espaces de vie prolongés par de belles terrasses habillées de bois et équipées de volets persiennés servant autant de protection solaire que d’occultation.
Le béton est au cœur du projet. Il en est l’essence architecturale, avant même d’en être la structure. Emmanuelle Colboc a souhaité un béton brut qui soit le plus simple possible dans sa composition, d’un gris « ordinaire ». Les structures des bâtiments, composées de voiles et poteaux porteurs, ont été coulées en place, excepté quelques pièces de soubassement. Les efforts développés sur ce projet concernent le choix des techniques de coulage permettant d’obtenir des voiles extérieurs de 11 m de haut avec le moins de reprises apparentes possible et évidemment la bonne formulation du béton pour faciliter cette mise en œuvre.
Un esprit d’équipe entre l’architecte et l’entreprise
Pour ce faire, l’agence Emmanuelle Colboc a fait appel à un consultant spécialisé qui a déconseillé l’emploi d’un béton autoplaçant, à priori idéal dans le cas de banches de grande hauteur et de ferraillages importants, au profit d’un béton fluide de type S4 compte tenu d’un climat local très agressif. Les architectes ont donc cherché avec l’entreprise une solution satisfaisante pour obtenir une surface d’apparence la plus monolithique possible. Ce qui apparaît intéressant et important relève ici plus du travail d’équipe, du lien qui s’est tissé entre le maître d’œuvre et l’entreprise pour tenter d’aboutir au meilleur résultat possible et obtenir des parois en béton brut de qualité.
Il n’est pas question ici de perfection mais de justesse. Justesse du volume, du bon dosage des creux vitrés ; justesse de sa rugosité extérieure fonctionnant comme une peau protectrice du monde environnant et des intempéries. La recherche de qualité ne s’est pas limitée à un souci de volume extérieur ou de surface.
Le soin apporté au choix des matériaux et au dessin des moindres détails génère des espaces qualitatifs, dans leur fonction comme dans leur apparence. Pour exemple, le travail opéré dans les circulations du siège social où les sols en parquet sur chant sont associés à des menuiseries toute hauteur en bois qui donnent à voir la continuité du sol entre bureaux et couloir. Des engravures prévues dans les parois intérieures en béton brut permettent d’encadrer les parois par un joint creux qui crée une ligne d’ombre et dissimule notamment les joints entre parquet et béton, évitant la mise en place d’une plinthe et accentuant le contraste entre béton et bois.
Développement Durable qualité des vues et de la lumière
Le bâtiment isolé par l’intérieur répond à la RT 2012, grâce à la gestion des ponts thermiques et l’utilisation de rupteurs. En termes de gestion et d’économie d’énergie, des panneaux solaires ont été installés sur la toiture- terrasse des logements, invisibles depuis les immeubles voisins, tous plus bas. Destinés à l’eau chaude sanitaire, ils servent d’alternative au système de chauffage général lorsque l’ensoleillement le permet. Les toitures-terrasses du siège social ont été végétalisées pour à la fois retenir une partie des eaux de pluie et offrir une vue agréable aux occupants des logements. Et si la qualité des vues fut un des moteurs du projet, les apports en lumière naturelle en sont un autre peut-être encore plus important. Au final, cet ensemble de bâtiments affirme avec justesse sa présence et sa singularité le long de l’avenue du Bois du Coq, tel le chaînon manquant enfin retrouvé qui affiche sans emphase sa belle modernité.
Principaux Intervenants
Auteur : Béatrice Houzelle – Reportage photos : Michel Denancé
Maître d’ouvrage : Alcéane, OPH de la Ville du Havre – Maître d’œuvre : Emmanuelle Colboc et associés ; Michael Zwerger, chef de projet – BET TCE : Egis Bâtiments Centre Ouest – BET acoustique : Lamoureux Acoustics –Entreprise générale : Eiffage Construction Haute-Normandie – Surface : 4 601 m2 SHON – Coût : 7,86 M€ HT – Programme : siège social d’Alcéane et 22 logements sociaux.