Cette reconversion de bureaux en logements témoigne du potentiel de réversibilité de cette architecture iconique en béton dans le respect des objectifs environnementaux actuels.
Intervenant à deux en 1974, sur la colline de Belleville à Paris, Claude Parent (1923-2016), grande figure de l’architecture française, et André Remondet (1908-1998), grand prix de Rome, ont inscrit une pépite brutaliste dans l’éclectisme de la rue de la Mouzaïa pour implanter le siège de la direction de l’Action sanitaire et sociale (DRASS) dans un immeuble neuf au numéro 58 et un bâtiment industriel réaménagé au 66. Connu pour ses recherches sur le travail du béton et la fonction oblique concrétisée avec Paul Virilio à l’église Sainte-Bernadette du Banlay à Nevers, œuvre remarquable classée au titre des monuments historiques, Claude Parent s’est très investi dans l’étude de la modénature de la façade du n° 58. Animé par une œuvre de son amie, le sculpteur Catherine Val, l’immense bandeau lisse du socle rend grâce à l’oblique dans une rythmique de mots sculptés dans le béton. Des éléments saillants baptises « dents de mammouth » par les architectes marquent les niveaux de cette façade d’apparence défensive. Des tourelles en béton rainuré à l’image revendiquée de « serre-livres » encadrent la superposition des bandeaux crénelés en béton préfabriqué cernant les baies, et l’articulation de deux tourelles dessine une faille qu’éclairent de grands vitrages. À l’entrée, les nez de dalle en béton s’arrondissent en reliant un grand fût saillant.
Reconvertir et non détruire
À la suite du départ de la DRASS en 2010, le 66 devient un foyer de l’Armée du Salut, le 58 étant délaissé après l’expulsion d’un squat d’artistes. Lancée en 2014, selon un dispositif de la loi Duflot, la reconversion a permis à l’État de céder cet ensemble et une parcelle attenante à la ville de Paris. À charge pour la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) de créer des logements en orchestrant une opération tiroir en deux phases pour réinstaller le centre d’hébergement de l’Armée du Salut au 66 et créer au 58 une résidence pour étudiants et jeunes travailleurs, des fabriques en coworking et des ateliers d’artistes. Lauréats d’une consultation en procédure adaptée, l’Atelier Canal, les BET Khephren et Espace Temps ont réalisé le projet avec GTM Vinci.
« Le coût d’une rénovation dépasse souvent la valeur d’une construction neuve et l’effort à produire est démesuré pour offrir une nouvelle vie à un bâtiment dépourvu de magie et inapte à accueillir de nouveaux usages », dit l’architecte Patrick Rubin. « Les plans originaux du 58 contenant les règles d’anticipation d’une architecture durable et tous les atouts de la réversibilité, transformer ces bureaux en une typologie de micro logements s’est avéré très positif. » Parfaitement réceptifs au nouveau programme, la structure en poteau/poutre béton et le plan libre de l’existant ont permis cette mutation des plateaux sans grandes modifications de l’ossature. Les façades comme les circulations verticales dont un escalier Chambord à double volée sont conservées et restaurées de même que l’éclairage par les failles de la façade. Pour répondre à la nouvelle fonction, des réseaux fluides et gravitaires et des cloisonnements acoustiques propres à l’habitat ont été créés.
Revisiter l’architecture du 58
Les solutions constructives initiales et celles adoptées par Canal architecture révèlent le génie des lieux dans sa sobriété. Du rez-de-chaussée aux toitures en passant par le double escalier, les espaces sont remodelés pour faire émerger des volumes singuliers et des logements originaux, confortables et plaisants : studios pour jeunes, colocations, ateliers duplex en double hauteur autour d’un jardin, services partagés, terrasses.
« Avec l’entrée et une faille de lumière centrale, il y a dans ce bâtiment sériel une écriture classique lisible dans le traitement des angles par Claude Parent et il est parfaitement distribué par les deux escaliers d’une bande centrale », ajoute Patrick Rubin qui a recréé une rue intérieure au rez-de-chaussée pour différencier les trois accès vers les ateliers d’artistes, les espaces de coworking et les résidences étudiants travailleurs.
Tout en conservant son dessin, il a donné de l’amabilité à la façade en la « dé-datant » en substituant aux anciennes fenêtres en aluminium, des menuiseries en chêne qui magnifient la modénature de l’architecture en béton. Son expérience dans les « logements jeunes » et la transformation d’édifices existants et son aptitude à ruser avec les normes transparaissent dans sa façon de conserver et de traiter la double volée de l’escalier, ainsi que dans la diversité des typologies favorisant la colocation et le partage. Les petits bunkers des anciens pavillons de gardien sont aussi réinvestis et des ateliers d’artistes sous verrière sont gagnés sous les parkings.
Restaurer les bétons
Cette reconversion a nécessité la mise à nu des structures et la conservation des façades, des éléments d’enveloppe et des aménagements intérieurs. Les équipements techniques ont été remplacés et mis aux normes en termes de confort thermique, d’acoustique, de signalétique, d’accessibilité et de choix environnementaux. La restauration a aussi magnifié l’œuvre de Catherine Val ainsi que des graffitis nés de la période du squat également préservés.
L’entreprise GTM Vinci a pris toutes les précautions permettant de répondre aux exigences d’une mise en œuvre soignée. Outre leurs études minutieuses, leurs investigations constructives et des prototypes, les architectes ont pris pour bases une étude patrimoniale, un entretien avec Claude Parent, un diagnostic, des archives, des prélèvements et des analyses des bétons. Des tests de nettoyage et l’intervention de laboratoires spécialisés ont permis de définir la méthodologie d’intervention. D’autres tests ont débouché sur la formulation d’un mortier fibré de réparation dont les teintes et les dosages sont adaptés selon la localisation avec du sable jaune et des ciments blancs ou gris. De tout cela est résulté un parti de réhabilitation clair quant à la réparation et au nettoyage soigné des bétons du 58 où les effets graphiques et sériels et les percements sont conservés. Des matériaux bruts associés au béton et des menuiseries en chêne ont restitué en façade une apparence domestique et chaleureuse. Aujourd’hui, leur traitement chromatique souligne et valorise l’écriture architecturale et leur rapport à la ville.
Des vertus environnementales
Des interventions ciblées (patio, puits de lumière) favorisent la diffusion de la lumière naturelle jusqu’aux sous-sols. L’opération respecte le Plan Climat de la ville de Paris, la certification Cerqual PH&E avec option performance et elle a obtenu le label BBC Effinergie Rénovation. Le fait de conserver la structure et l’enveloppe existantes participe à la réduction de l’empreinte carbone. En adéquation avec la protection patrimoniale des façades, la performance thermique tient à la création d’un manteau thermique intérieur : remplacement et déport des menuiseries, isolation intérieure des façades, toiture végétalisée. Des stores extérieurs améliorent le confort thermique d’été comme d’hiver. Dans un souci de frugalité, les performances énergétiques relèvent d’une approche passive et d’équipements simples : enveloppe thermique performante, chaudière gaz à condensation, récupération de chaleur sur les eaux usées constituée d’une pompe à chaleur préchauffant l’eau chaude sanitaire. Maître d’ouvrage, maître d’œuvre et entreprise générale ont reçu le Geste d’Argent 2019 pour cette réalisation.
Fiche technique
Reportage photos : Pierre L’excellent, Gilles Ehrmann, Olivier Wogenscky, Canal architecture et Andrea Montano.
- Maître d’ouvrage : Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP)
- Maître d’œuvre : Patrick Rubin, Canal architecture, Annie Le Bot et Antoine Hersant
- BET structure : Khephren
- BET fluides : Espace Temps
- Entreprise générale : GTM bâtiment, Vinci Construction France
- Surfaces : 10 500 m2 SDP dont 7 900 m2 pour le n° 58
- Coût : 20 M€ HT
- Programme : au n° 58, résidence universitaire pour 127 étudiants et 65 jeunes travail-leurs ; ateliers logements pour 14 artistes, coworking de 90 places. Au n° 66, centre d’hébergement d’urgence de 126 places.