Les récifs biomimétiques Xreef servent de corps-morts.

L’immersion de 34 récifs en béton réalisés en 3D n’est là que l’une des quatre opérations du projet Récif’lab porté par la ville d’Agde et mis en œuvre par l’entreprise montpelliéraine Seaboost. Lauréat en 2018 d’un programme d’investissement d’avenir, Récif’lab vise un objectif très concret : protéger et reconquérir la biodiversité marine endémique par une approche innovante.

Très vite, ils ont servi de support à la flore et accueilli des œufs de calmars.

Les lests écologiques Xreef

Sur les quatre lots du programme, deux font appel à des bétons spécifiques. Le lot 2 concerne la conception et l’immersion de 34 lests de balisage « Xreef » au design biomimétique. Outre leur fonction de corps-morts pour maintenir les bouées de la zone de baignade, ils sont composés de multiples cavités pouvant accueillir diverses espèces marines, faune et flore.

Ecole centrale de Marseille a contribué aux études en bassin à houle pour déterminer les dimensions des modules les mieux adaptées aux conditions hydrodynamiques du site. Les lests conçus par Seaboost ont été réalisés à « l’encre 3D béton » de Vicat grâce à la technologie d’impression 3D d’XtreeE. Fabriqués à Paris, transportés à La Seyne-sur-Mer, acheminés par navire jusqu’au Cap d’Agde, les Xreef ont été immergés fin mai 2019 par l’entreprise Foselev Marine. L’ampleur du déploiement est une première mondiale, qui permet de créer un corridor écologique pérenne tout en optimisant, à moyen terme, les coûts de gestion et le bilan carbone du balisage en mer. 

Au cœur du village de récifs artificiels, le module central mesure 6,50 m de haut sur une base de 48 m².

Un village de récifs

Le lot 4 concerne la conception et l’immersion d’un « village » de récifs artificiels. Composé d’enrochements et de plusieurs types de récifs secondaires disposés autour d’un module principal haut de trois étages, il s’étend sur plus de 1 000 m à 20 m de profondeur. L’ensemble sert à protéger l’habitat marin coralligène en déportant une partie de l’activité de plongée.

Des coques en béton imprimées 3D par dépôt de couches successives sont apposées sur la structure en béton armé pour servir de coffrage.

La conception et la réalisation du récif central ont fait l’objet d’un long travail itératif afin de répondre à trois impératifs : satisfaire les attentes des clubs de plongée, être attractif pour la biodiversité marine et réunir les conditions nécessaires en termes de dimensionnements hydrodynamiques, structurels et mécaniques lors des phases de manutention, d’immersion puis de tenue en mer. Seaboost et ses partenaires ont opté pour une solution innovante associant une superstructure en béton armé couplée avec des coques en béton imprimées 3D en atelier. L’ensemble des bétons utilisés, structure et 3D, présentent une rugosité, une porosité et un pH de surface favorables à la colonisation en milieu marin.

Trente-quatre lests de balisage Xreef ont été immergés pour former un corridor écologique.

Solution mixte pour le module central

Réalisé en impression 3D, le module central est un portique poteaux/poutres en béton armé dimensionné par le bureau d’ingénierie Lamoureux et Ricciotti. « La conception structurelle a été très spéciale en raison des efforts hydrostatiques et hydrodynamiques de la houle qui s’élèvent à plusieurs tonnes au mètre carré, soit dix à cent fois plus qu’un ouvrage de bâtiment classique, assure Romain Ricciotti. Par ailleurs, la manutention en mer est un autre facteur dimensionnant compte tenu du gabarit et des 105 t à soulever et à transporter sur barge avant l’immersion finale. »

Leur design biomimétique permet d'accueillir la biodiversité marine.

Une fois le socle ferraillé, le béton est coulé en place. Sa formulation est le fruit d’un partenariat avec Seaboost, l’université de chimie de Montpellier, Calcia et Superbloc, producteurs de béton BPE. Elle répond à plusieurs exigences : une classe d’exposition XS2 pour tenir les chlorures marins, une faible empreinte carbone et une résistance très élevée (C60/75) pour que la dalle portante, malgré sa finesse, supporte le levage et le transport maritime. Pour ce faire, le groupement a utilisé le ciment CEMIII/A de Calcia, particulièrement résistant aux agressions chimiques en milieu marin, qui permet en outre d’améliorer à 40 % l’empreinte environnementale du béton. Il a ensuite été réalisé dans la centrale d’Assas (34) de l’entreprise Superbloc « en veillant à ce que le béton garde ses caractéristiques de fluidité S5 pendant 2 h, le temps du transport en camion malaxeur à Frontignan où se passait la mise en œuvre de la structure », comme le précise Olivier Pascal, gérant de Superbloc. 

Immersion du module central au large de l'île de Brescou.

Béton imprimé 3D et design bio-attractif

Des coques en béton imprimées 3D sont ensuite apposées sur la superstructure en béton armé pour servir de coffrage. Réalisées par CyBe dans la région parisienne, ces coques sont imprimées par dépôt de couches successives sous forme de « feuilleté », ce qui a permis de reconstituer un design biomimétique des milieux naturels rocheux approprié à la faune et à la flore marines méditerranéennes côtières. « Béton projeté, fibre de verre… nous avons étudié plusieurs matériaux avant de choisir le béton 3D », explique Alexandre Musnier, responsable technique chez Seaboost. « Il offre le double avantage d’une réalisation sur mesure en épousant les moindres courbes et alvéoles tout en augmentant la performance écologique, notamment en réduisant la quantité de matière utilisée : tout ce qui est imprimé est utile. Le béton 3D est un matériau de type cimentaire dont le principe de formulation semble simple en apparence. Mais en réalité, son adjuvantation est très complexe car il faut impérativement garder la maîtrise de la rhéologie et du comportement en début de prise pour pouvoir réaliser l’impression en empilement de couches. Or, contrairement au béton coulé, il n’existe pas encore d’essais normés pour le béton 3D malgré les travaux en cours. De plus, les paramètres de mise en œuvre influent sur ses caractéristiques mécaniques et il n’est pas isotrope.

Outre ses vertus écologiques, le design de ce gigantesque récif artificiel répond aussi aux attentes des clubs de plongée.

Le contrat de Recherche et Développement mis en place par la ville d’Agde nous a laissé le loisir de prendre quelques libertés, qui nous paraissaient justifiées, bien que nous soyons au plus près du normatif afin de garantir la durabilité de l’ouvrage. » Issu d’un travail mené par les plongeurs et les biologistes marins de Seaboost et de l’Aire marine protégée de la côte agathoise, qui ont étudié les comportements des espèces recherchées par les clubs de plongée (mérous, poulpes, langoustes, calmars, congres, murènes…) ainsi que leurs besoins, ce gigantesque récif est doté de cavités, offrant ainsi 430 m3 d’un nouveau type de plongée. Outre son attractivité écotouristique, le « village » de récifs artificiels sert de « nurserie à poissons » avec une surface colonisable de plus de 1 000 m pour un volume d’habitat avoisinant les 500 m3.


3 questions à :

Renaud Dupuy de La Grandrive, directeur du Milieu marin de la ville d’Agde et de l’Aire marine protégée de la côte agathoise

Dans quel contexte avez-vous réalisé cette opération ?

La ville d’Agde s’est dotée il y a dix ans d’une direction du Milieu marin. Qu’une petite collectivité s’engage sur l’environnement marin est, en soi, une petite révolution. Notre mission principale consiste à gérer l’aire marine de la côte agathoise (environ 6 200 ha classés Natura 2000) pour le compte de l’État afin de préserver les milieux naturels. Nous faisons de l’écologie appliquée en développant des actions concrètes reposant sur des données techniques et scientifiques afin d’engager des actions intégrées dans le territoire, partagées avec les usagers et gérées dans la proximité.

Comment protégez-vous la biodiversité ?

Au regard du contexte hypertouristique qui pèse sur le territoire, nous nous sommes engagés dans un Développement Durable qui favorise une meilleure gestion des pressions sur les milieux marins et la reconquête de la diversité marine. Cela passe par l’installation de mouillages écologiques, un balisage des sites sensibles, l’aménagement d’un sentier sous-marin… Le projet Récif’lab va beaucoup plus loin : 310 ha de zone coralligène ont été mis en réserve intégrale, interdisant la plongée, la pêche et le mouillage. Mais comme nous cherchons toujours un compromis entre les activités humaines et la restauration du milieu, nous avons immergé à proximité de la réserve un mégarécif artificiel en béton 3D dont le design répond à la fois aux attentes des clubs de plongée et à la biodiversité marine.

Où se trouve l’innovation ?

Les innovations sont de plusieurs types : le choix d’une structure mixte, le design biomimétique avec une formulation innovante de béton 3D, et l’échelle du projet, essentielle pour reconstituer un écosystème complet.

Depuis l’immersion des Xreef, des plongeurs assurent un suivi scientifique rigoureux quant à la bonne tenue des ouvrages et au comportement des espèces marines. Nous étions heureux de constater qu’au bout d’une semaine, des calmars avaient pondu sur les récifs. 

Localiser la réalisation

Fiche technique

Reportage photos : © RENAUD DUPUY DE LA GRANDRIVE / VILLE AGDE ; © SEABOOST – GROUPE EGIS

  • Maîtrise d’ouvrage : direction de l’Aire marine de la ville d’Agde
  • Conception réalisation : Seaboost
  • Montant du contrat global (4 lots) : 1,2 M€ HT
  • Durée du projet : juin 2018 pour 48 mois
  • Xreef : Conception réalisation : Seaboost – Béton : Vicat – Impression 3D : XtreeE – Déploiement, manutention, immersion : Fosselev
  • Récif central : Conception : Seaboost/Lamoureux & Ricciotti Ingénierie – Déploiement, manutention, immersion : Negri – Béton structurel : Calcia/Superbloc – Béton 3D : CyBe/Vicat/XtreeE.



0 commentaires
CAPTCHA
Voir aussi
  • Solutions béton
    Le béton, comme un poisson dans l’eau
    Les qualités du béton en ont fait depuis longtemps un matériau clé dans les aménagements fluviaux et maritimes : solidité, résistance, neutralité chimique.
  • Gallargues-le-Montueux
    Une passe à poissons sur le Vidourle
    Aloses feintes, anguilles et autres poissons migrateurs ne rencontrent désormais plus d’obstacle pour remonter le Vidourle, grâce à une passe spécialement conçue pour eux sous un viaduc ferroviaire.