La gare haute du téléphérique du Salève, ouvrage d’art en béton armé restauré et complété, offre un panorama exceptionnel entre montagnes et lac Léman.
Appelé parfois le balcon de Genève, le mont Salève se situe en Haute-Savoie, à la frontière franco-suisse. Il surplombe le Genevois et tout le bassin lémanique. Longtemps réservé aux marcheurs aguerris, il connut un surcroît d’affluence avec la construction d’un train à crémaillère en 1892, remplacé en 1932 par un téléphérique à la mécanique bien plus moderne permettant un voyage suspendu dans les airs de 10 min au lieu de 1 h ; il fallait 3 h aux randonneurs. Conçu par l’architecte suisse Maurice Braillard (1879-1965) en collaboration avec les ingénieurs Georges Riondel et André Rebuffel (spécialiste des téléphériques), la modernité et l’efficacité de sa mécanique se conjuguent à l’architecture moderniste de sa gare haute. Morceau de bravoure implanté à l’aplomb du vide à 1 100 m d’altitude, le bâtiment-pont en béton armé laissé brut de décoffrage balise depuis lors le paysage.
En près d’un siècle, le fonctionnement du téléphérique connut des vicissitudes et des transformations plus ou moins heureuses. En 2013, d’importants travaux de mise en sécurité furent engagés et une étude globale aboutit à la décision d’une réhabilitation-extension de l’équipement. Une décision sans doute motivée par le fait qu’il offre un accès rapide non seulement à un spot de parapente, d’escalade et de randonnées, mais aussi à un site du réseau Natura 2000 : depuis plus de 20 ans, le Salève contribue dans ce cadre à la protection de la biodiversité européenne.
L’inscription du téléphérique au titre des Monuments historiques du XXe siècle en 2018 conforta la décision de valoriser ce patrimoine architectural et technique : une mission portée par le groupement local de coopération transfrontalière Téléphérique du Salève et confiée aux architectes de l’agence DDA Devaux & Devaux Architectes.
Le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de Haute-Savoie en a élaboré le cahier des charges.
Raviver le patrimoine
« Quand nous avons gagné le concours, en 2018, la valeur patrimoniale du bâtiment n’était pas encore prise en compte », indique Claudia Devaux, architecte spécialiste du patrimoine du XXe siècle et des pathologies du béton, associée de l’agence DDA. « Le projet initial n’avait pu être mené à son terme : la salle panoramique inachevée était restée exposée aux intempéries, le restaurant et l’hôtel n’avaient pas été réalisés. Par ailleurs, les interventions ultérieures avaient plutôt dégradé le bâtiment et son environnement. »
Sans chercher à achever le projet d’origine mais en s’appuyant sur les documents d’archives de la fondation Braillard, les architectes se sont attachés à retrouver le rapport à la vue en supprimant les ajouts qui encombraient le site et à maintenir le rapport au vide avec l’idée d’une projection dans le paysage. Revendiquant une démarche respectueuse du patrimoine, autant que du site, permettant d’offrir de nouvelles conditions d’habitabilité, leur projet s’inscrit dans la continuité de l’édifice construit dans les années 1930, sans s’interdire un apport contemporain. L’utilisation d’une même catégorie de matériau, le béton, et la distinction subtile entre le bâtiment d’origine rénové et l’extension en témoignent. Le tout au service d’une fonctionnalité claire.
Habiter le paysage
L’extension s’appuie en partie sur les fondations existantes, utilisant tous les vides de construction et étendant les niveaux haut et bas vers l’arrière comme pour mieux arrimer l’ensemble. Certains locaux ont été modifiés, à commencer par la plateforme d’arrivée des cabines qui s’ouvre directement sur l’extérieur côté montagne, alors qu’elle butait contre un mur. Le mur parapet de la toiture-terrasse panoramique a été reconstruit, redonnant accès à ce point de vue spectaculaire à 360 degrés sur le lac Léman, le Jura et le mont Blanc. Le niveau haut a été transformé en restaurant panoramique, comme l’avait prévu Maurice Braillard, et prolongé par une salle de séminaire. Des espaces ont été créés pour accueillir les nouveaux services, notamment la grande salle d’exposition, avec sa boutique cafétéria, posée sur le sol et vitrée toute hauteur sur la vallée, prolongée par une esplanade et dont la toiture constitue aussi une vaste terrasse. Cette extension transversale basse rejoint de l’autre côté du bâtiment-pont la nouvelle tour-escalier de desserte des différents niveaux, singularisée par un mur pignon ouest de 22 m de hauteur, équipé en mur d’escalade. Elle est principalement réalisée en prémurs, hormis les poteaux coulés en place, le béton préfabriqué étant plus facile à mettre en œuvre sur ce site où l’accès à l’eau est difficile et les conditions météorologiques et géographiques sont rudes. Par cet emboîtement des plans qui forme une équerre, les architectes ouvrent l’édifice à toutes les directions sans en altérer la figure d’origine : l’extension basse se glisse sur le terrain qu’elle étage, laissant au bâtiment-pont toute sa force plastique.
« Nous voulions rendre le bâtiment habitable aux conditions actuelles de confort donc l’isoler », souligne l’architecte associé David Devaux. « Dans le restaurant, nous avons opté pour de grandes baies vitrées, légèrement inclinées pour des questions d’acoustique, dont les menuiseries très performantes sont calées sur le rythme des poteaux extérieurs. » Des stores intérieurs et des brise-soleil orientables extérieurs permettent de moduler les apports de lumière et de chaleur. Ailleurs, les murs ont été doublés, les terrasses et planchers isolés. Le recours à des énergies renouvelables – panneaux photovoltaïques, chaudières à bois – et à un système de récupération des eaux pluviales limite l’impact environnemental du bâtiment.
Une (re)construction de haute technicité
L’intervention sur le bâtiment-pont, outre l’aménagement et le réaménagement des différents espaces, devait d’une part répondre à la nécessité de le rendre conforme au normes actuelles, y compris sismiques, et, d’autre part, lui rendre son aspect brutaliste d’origine. « Les bétons des années 1930 étaient poreux, mal vibrés mais, à l’exception des poutres du restaurant, ils présentaient peu de corrosion car les fers étaient bien enrobés », raconte Claudia Devaux. « Nous avons voulu retrouver l’aspect brut du matériau qui avait disparu lors des travaux du début des années 1980 sous 3 à 5 cm d’épaisseur de béton projeté, amollissant l’architecture d’angle de Braillard. » Enlever ce béton projeté, très dur, sur celui d’origine, plus tendre, a demandé un travail long et délicat de décroûtage, effectué en trois phases – le piquage, le ponçage et le sablage – et achevé par l’application d’un inhibiteur de corrosion. Un mortier de réparation adapté, compatible avec l’ancien, a été utilisé pour réparer les parties endommagées. Si les éléments en béton brut ont pu retrouver leur apparence d’origine, l’enduit tyrolien qui recouvrait les murs des parties habitées n’a pu être conservé.
Pour le prolongement de la salle de restaurant, le choix d’un béton autoplaçant coulé en place, à la fois plus lisse et de teinte plus claire, distingue finement les années 1930 d’aujourd’hui.
La structure a dû être renforcée afin d’absorber le surplus de charges d’exploitation. Le plus impressionnant sans doute a été l’ajout d’une poutre de liaison entre les deux poutres de 23 m de portée qui lient l’avant et l’arrière du bâtiment. Au-dessus a été coulé un plancher en béton liaisonné au plancher béton existant. Le même procédé a été répété au niveau de la plateforme d’orientation dont la dalle d’origine a été retrouvée, ceinte de nouveaux garde-corps en béton.
Entre la diversité des points de vue et l’espace d’exposition, la station haute du Salève se trouve enrichie d’outils de compréhension permettant d’appréhender la richesse d’un environnement vivant à préserver.
Localiser la réalisation
Reportage photo : © Manuel Bougot
Fiche technique
- Maître d’ouvrage : Groupement local de coopération transfrontalière (GLCT) canton de Genève, Annemasse Agglo, Monnetier-Mornex
- Maître d’œuvre : DDA Devaux & Devaux Architectes
- BET structure : Batiserf
- Paysagiste : Pascal Olivier
- Entreprises : Novbéton (restauration et traitement des bétons) ; Albizzati (curage, démolition, gros œuvre, renforcement structurel, extension)
- Surface : 1 935 m2 SDP
- Coût : 9,7 M€ HT
- Programme : réhabilitation et extension de la gare haute du téléphérique du Salève, terrasse-belvédère, salles d’exposition, de restauration, de conférence, mur d’escalade, aménagements paysagers. Prix Équerre d’argent 2024.