Long de 549 m, le pont Simone Veil sera l’un des plus larges d’Europe avec son tablier de 44 m. Conçu comme un véritable morceau de ville au-dessus du fleuve, il intégrera, outre quatre voies routières et deux voies pour les transports en commun, un bandeau de 18 m de large dédié aux circulations douces.

À Bordeaux, la Garonne constitue un obstacle de taille pour les constructeurs de ponts. Difficile à dompter, elle est longtemps demeurée infranchissable, jusqu’à la construction du pont de Pierre, inauguré en 1822. Depuis, seuls six autres liens fixes, routiers ou ferroviaires, ont vu le jour en 200 ans. Alors, on l’imagine aisément, la naissance d’un nouveau pont à Bordeaux est toujours un événement fort.  

Un morceau de ville au-dessus de la Garonne

Le 8e pont de la métropole, baptisé Simone Veil, s’inscrit au cœur de l’opération d’aménagement Euratlantique, en reliant trois communes : Bègles et Bordeaux, sur la rive gauche, et Floirac, sur la rive droite. « Vecteur de lien et de développement urbain, il est conçu non seulement comme un lieu de passage destiné au trafic local, mais aussi comme un lieu de vie », explique Bertrand Arnauld de Sartre, chef du centre franchissements/Ouvrages d’Art de Bordeaux Métropole, maître d’ouvrage du pont. L’originalité de cet ouvrage d’art, dessiné par l’agence d’architecture OMA Rem Koolhaas, tient en effet dans la polyvalence de ses usages permise par les dimensions XXL de son tablier, l’un des plus larges d’Europe avec ses 44 m. Celui-ci accueillera quatre voies de circulation routière, deux voies pour les transports en commun ainsi qu’un vaste bandeau, large de 1  m, dédié aux circulations douces et à la promenade. « En somme, ce pont constituera un nouveau morceau de ville au-dessus du fleuve, proposant des espaces évolutifs dont l’animation sera confiée aux habitants et aux associations locales », résume Bertrand Arnauld de Sartre. 

Le tablier du pont repose sur huit piles pleine largeur en béton armé constituées chacune de quatre fûts carrés.

Assurer une stabilité à toute épreuve

Pour construire l’ouvrage, un premier marché avait été attribué en 2015. Mais à la suite d’un différend sur les protections anti-affouillement – c’est-à-dire les dispositifs qui empêchent l’érosion du sol au droit des fondations du fait des courants du fleuve – le marché avait été résilié en décembre 2018. C’est en décembre 2020 que le marché fut de nouveau attribué, à un groupement mené par Bouygues Travaux Publics Régions France. La solution proposée permettait cette fois-ci d’assurer la stabilité provisoire et définitive de ce large ouvrage grâce à un mode constructif inédit, adapté à ce contexte fluvio-maritime soumis à un fort marnage.

Initialement, chacune des huit lignes de piles en béton armé de 44 m de large – chaque ligne de piles comprenant quatre fûts verticaux – devait ainsi être érigée à l’intérieur d’imposants batardeaux provisoires de 45 m de long et 7 m de large. Mais la courantologie du fleuve était susceptible d’entraîner l’apparition d’affouillements importants au droit des palplanches constituant les batardeaux, ce qui aurait pu les déstabiliser. « Nous aurions pu poser des protections anti-affouillement autour du batardeau pour maintenir en place le fond vaseux, mais cela aurait nécessité des quantités astronomiques d’enrochements », précise Thomas Chavignier, chef de service travaux de Bouygues Travaux Publics Régions France. L’entreprise propose alors une solution plus réaliste, moins coûteuse et... très innovante ! 

Les travaux de fondations et d’élévation des piles sont réalisés depuis des estacades (perpendiculaires au fleuve) et des épis (parallèles) provisoires.

Les batardeaux remplacés par des caissons étanches

« Pour limiter et contrôler au mieux les affouillements, nous avons décidé de remplacer les batardeaux par des caissons étanches unitaires », poursuit Thomas Chavignier. Contrairement au batardeau, qui aurait dégagé une large surface permettant de travailler au sec sur la totalité des fûts d’une pile, chaque caisson entoure un seul fût de pile. Une sorte de « mini » batardeau individuel en somme. De plus, chaque caisson – et c’est là que réside l’ingéniosité du procédé – est solidarisé en pied à la tête du pieu de fondation de chaque fût, et non « fiché » dans le sol comme le sont les batardeaux. L’impact de l’affouillement se limite donc à la surface exposée d’un pieu, extrêmement réduite par rapport à celle du batardeau. « Grâce à ce procédé, nous avons pu réaliser la protection anti-affouillement définitive des piles à l’avancement du chantier à l’aide de gabions posés sur la vase tout autour de chaque pieu », se félicite Thomas Chavignier. Une fois en place, « perché » hors d’eau en tête de pieu, l’intérieur de chaque caisson est ensuite investi pour installer le coffrage des fûts et procéder à leur bétonnage. Au fur et à mesure de l’achèvement des piles, la charpente du tablier – constitué de quatre bipoutres en acier autopatinable reliées par des pièces de pont – est poussée par tronçons successifs au-dessus du fleuve, de la rive droite vers la rive gauche.

Le chevêtre de chaque pile (3 m de long et 2,2 m de haut) est réalisé au-dessus des quatre poteaux.

Un hourdis en béton armé grand comme quatre terrains de football

Pour finaliser la structure de l’ouvrage restait à réaliser le hourdis béton. « Il faut s’imaginer une dalle en béton armé de 25 000m2, soit l’équivalent de quatre terrains de football! », s’enthousiasme Thomas Chavignier. Pour couvrir cette surface exceptionnelle, une méthodologie minutieusement planifiée est déployée. Le tablier a été divisé longitudinalement en deux zones principales : le tablier amont et le tablier aval. Chacune de ces zones est subdivisée en 39 plots d’environ 320 m2. La réalisation de chaque plot mobilise une dizaine de compagnons, impliqués dans les opérations de coffrage/décoffrage et de bétonnage.

Chaque fût de pile est bétonné à l’intérieur d’un caisson étanche solidarisé au pieu de fondation, ce qui permet de limiter les affouillements.

Le tablier amont est coulé en premier sur toute sa longueur, puis c’est au tour du tablier aval. Enfin, ces deux moitiés sont clavetées, c’est-à-dire reliées structurellement au centre géométrique du tablier, au cours d’un coulage final. Deux équipages mobiles ont été spécifiquement fabriqués pour réaliser ces travaux. Ils sont dotés de vérins hydrauliques commandés par une tablette connectée. « Cette innovation technologique améliore sensiblement l’ergonomie du poste de travail des compagnons, tout en facilitant le déplacement du matériel, que ce soit pour le coffrage des plateaux, le plaquage des joints d’étanchéité, ou encore le ripage du portique », assure Ludovic Gomez.

Grâce à cette organisation et à ces outils, la cadence moyenne de coulage atteint trois à quatre plots par semaine. Démarré en mai 2023, le coulage du hourdis béton se poursuivra jusqu’à la fin de l’année. 


Focus

Des bétons structurels et esthétiques formulés pour... 100 ans !

Pour répondre aux fortes exigences de résistance et de durabilité des structures du pont Simone Veil – conçu pour une durée de vie d’au moins 100 ans – la formulation du béton nécessitait des choix précis en termes de type de ciment et de granulométrie

Comme la plupart des ouvrages de Génie Civil, les piles et le chevêtre du pont présentent de fortes épaisseurs (respectivement 3 m et 2,2 m). Dans ces conditions, les éléments structurels ont tendance à chauffer intensément à cœur lors de leur prise, ce qui peut entraîner une dégradation du béton sur le long terme. « Pour éviter ce phénomène, nous avons sélectionné des ciments de type CEM V, pauvres en clinker et riches en laitiers de haut-fourneau et en cendres volantes, qui sont tous deux des coproduits industriels. Les bétons formulés avec ces liants à faible chaleur d’exothermie prennent lentement mais sûrement, ce qui permet d’assurer leur bonne durabilité dans le temps », explique Ludovic Gomez, chef de service adjoint travaux de Bouygues Travaux Publics Régions France. Le choix de ces ciments permettait également de satisfaire une autre exigence : celle de la qualité esthétique du parement des piles et des chevêtres. « Pour limiter les fissurations de parement, il était crucial de respecter un écart de température ne dépassant pas 20°C entre le cœur et la zone d’enrobage lors du décoffrage. Seul le ciment CEMV permettait de réunir ces conditions », assure Ludovic Gomez. 

Côté granulats, l’entreprise a choisi une formule « petits cailloux ». « Habituellement, les diamètres granulométriques maximaux sont de 22mm. Ici, nous avons limité ce diamètre à 16mm pour des raisons techniques et esthétiques: cela permettait d’une part d’assurer une meilleure mise en place du béton dans les coffrages densément ferraillés – jusqu’à 380kg d’acier par mètre cube de béton pour les chevêtres – pour garantir une épaisseur de 5cm d’enrobage en tout point, et d’améliorer la qualité esthétique du parement d’autre part », conclut Ludovic Gomez.

 


 

Le hourdis de 25 000 m2 est coulé à l’aide de deux équipages mobiles. Trois à quatre plots de 320 m2 sont coulés chaque semaine.

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Chiffres clés

  • Longueur : 549 m
  • Largeur : 44 m
  • Hourdis béton : 25 000 m2 (soit 7 500 m3 de béton)
  • Béton pour les piles : 5 600 m3

Fiche technique

Reportage photos : © Atelier Caumes – Bouygues Constructions ; Bordeaux Métropole ; Dr

  • Maître d’ouvrage : Bordeaux Métropole 
  • Maître d’œuvre : Agence d’architecture OMA Rem Koolhaas et Gilles Guyot, Michel Desvigne Paysages 
  • Ingénieristes : WSP/Egis JMI 
  • Génie Civil : groupement Bouygues Travaux Publics Régions France (mandataire), Pro-Fond
  • Charpente métallique : Baudin Châteauneuf
  • Fournisseur ciment : Lafarge
  • Fournisseur béton : Garendeau 
  • Montant des travaux de Génie Civil: 47,2 M€ HT.



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    Construction moderne Ouvrages d'art 2005
    Qu’ils soient routiers, ferroviaires, fluviaux, aériens ou hertziens, les réseaux de communication rapprochent les hommes. Jeter un “pont” vers l’autre a toujours été un acte humainement symbolique. Cette main tendue, nous l’avons imaginée sous différentes formes: d’abord un tronc d’arbre lancé en travers du ravin, puis des pierres assemblées en arcs de plus en plus élancés, et enfin des matériaux modernes tels que le béton de ciment, que l’ingénieur a appris à maîtriser. De ces performances sans cesse améliorées naissent des tabliers de ponts aux portées toujours plus audacieuses.