Situé à quinze minutes à pied du centre-ville de Château-Gontier, le viaduc de la Mayenne est l’ouvrage majeur du contournement routier nord de la sous-préfecture de la Mayenne. Son arc structurel de 122 mètres de portée enjambe majestueusement la rivière. © Xavier BOYMOND

Créé pour désengorger le centre-ville et favoriser les mobilités douces, le contournement routier nord de Château-Gontier-sur-Mayenne (53) intègre sur son tracé de 4,1 km deux ouvrages d’art, destinés à franchir les vallées du Bouillon et de la Mayenne. En 2015, le Conseil départemental de la Mayenne, maître d’ouvrage du contournement, lance un concours de maîtrise d’œuvre pour les concevoir. C’est le groupement associant l’ingénieriste SCE et le cabinet d’architecture A.O.A - Thomas Lavigne qui remporte la compétition en proposant, pour l’ouvrage de franchissement de la Mayenne notamment, une conception audacieuse. « Nous nous sommes vite rendus compte que les caractéristiques du programme – tablier à 28 mètres de hauteur, franchissement de la rivière sur 120 mètres en une seule portée, bonne tenue mécanique des sols – nous permettaient de concevoir un pont à arc inférieur plutôt qu’un classique pont à piles », décrit l’architecte Thomas Lavigne.

Soutenant le tablier mixte acier-béton par l’intermédiaire de pilettes disposées en « éventail », l’arc est constitué de deux segments rectilignes reliés au centre par un arc de cercle tangent. © Xavier BOYMOND

Un arc structurel ouvert aux piétons

Mais l’ambition du projet ne réside pas uniquement dans sa forme. Elle concerne aussi ses usages : « En arpentant le terrain au démarrage de notre réflexion, nous avons remarqué que le site, superbe et situé à 15 minutes à pied du centre-ville, regorgeait d’activités : promenades piétonnes, cyclistes et équestres sur le chemin de halage de la rive ouest, ski nautique sur la rivière... Nous avons alors imaginé que l’arc, au-delà de sa fonction structurelle première, pourrait aussi faire usage de passerelle piétonne, pour permettre aux promeneurs de franchir la Mayenne de manière originale et inédite », poursuit Thomas Lavigne. En satisfaisant le programme initial mais en lui donnant un usage et une ambition supplémentaires – tout en respectant l’enveloppe budgétaire allouée – le projet du groupement réussit à convaincre le maître d’ouvrage. « Au final, nous avons démontré que le site pouvait être magnifié par un pont en arc – signal architectural dans le paysage – et que ce pont routier à double usage de passerelle pouvait devenir un atout touristique majeur pour l’agglomération », se félicite le maître d’œuvre.

L’extrados de l’arc est utilisé comme une passerelle piétonne. 140 marches en bois de largeur variable sont positionnées sur chacune des pentes de l’arc et donnent accès à une plateforme belvédère située à la clé, à 25 mètres au-dessus de la Mayenne. © Xavier BOYMOND

Un tablier à « vague »...

Le viaduc franchit la vallée de la Mayenne sur une longueur de 298 mètres. D’ouest en est, son tablier repose sur une pile sur les 100 premiers mètres de la rive ouest, puis est supporté, pour franchir la Mayenne, par un arc métallique de 122 mètres de portée par l’intermédiaire de pilettes inclinées. 

« Nous voulions que l’ouvrage soit le plus fin possible pour qu’il puisse franchir élégamment la vallée. » Une élégance rendue possible par une conception très optimisée, à l’exemple du tablier, un bi-poutre mixte acier-béton. Ses deux poutres ne sont pas horizontales, mais dessinent une forme de vague « douce ». « Leur hauteur, comprise entre 95 cm et 2 mètres, suit les lignes de forces et est proportionnelle aux portées qu’elles franchissent, illustre Thomas Lavigne. Épaisses en milieu de portée, elles s’affinent ainsi au niveau de la clé de l’arc et des culées, là où les efforts sont les plus faibles. »

... et un arc-belvédère

Cette optimisation de la matière se retrouve également au niveau de l’arc. Cœur esthétique et technique de l’ouvrage, celui-ci est constitué de caissons métalliques de 1,5 mètres d’épaisseur. Il est formé à ses naissances par des segments de droites inclinées – dont la pente a été réglée pour pouvoir intégrer des marches d’escalier conformes à la réglementation – reliés en son centre par un arc de cercle tangent. La largeur des caissons, de 4 mètres en pied, s’élargit progressivement pour atteindre 7 mètres à la clé, formant une confortable plateforme-belvédère en platelage bois. Les pilettes, soudées à l’arc, ne sont pas verticales mais dessinent un « éventail » pointant vers le centre de l’arc. « La forte inclinaison des pilettes extérieures prolonge la portée de l’arc au maximum, ce qui nous a permis de n’avoir qu’une seule pile verticale, sur la rive ouest », analyse l’architecte. 

Amorce de pied d’arc en cours de réalisation. La précision de positionnement des différentes parties de l’ouvrage constituait l’un des défis techniques du chantier pour NGE GC. Ainsi, les inserts métalliques noyés du pied d’arc (platines d’appareils d’appuis et pièces d’ancrage) sont positionnés avec une précision de + ou - 3 millimètres. © photothèque NGE

Une interface acier-béton millimétrique

La construction de cet ouvrage exceptionnel a été confiée par le maître d’ouvrage à un groupement d’entreprises piloté par NGE Génie Civil. « Pour nous, l’un des défis techniques du chantier résidait dans la précision de positionnement des différentes parties de l’ouvrage », synthétise Cédric Moysan, directeur travaux Ouvrages d’art de NGE GC, filiale de NGE spécialisée dans le génie civil. La complexité se logeait notamment à l’interface des structures métalliques et des appuis en béton armé qui les soutiennent. « Dans le génie civil, nous avons l’habitude de travailler avec des tolérances de + ou - 1 cm sur les parties d’ouvrages béton. Mais sur ce projet, nous devions être capables de travailler à + ou - 3 millimètres sur l’implantation des inserts métalliques noyés du pied d’arc en interface avec la charpente métallique », explique Cédric Moysan.

Des efforts colossaux transitent dans les massifs de pieds d’arcs, par l’intermédiaire des pièces d’ancrage des pilettes (les « disques » sur la photo), et des inserts métalliques en tête. C’est pour cette raison que les massifs intègrent une très forte densité d’armatures - jusqu’à 300 kg/m3 de béton. © photothèque NGE

Du béton pour la naissance de l’arc

Le coulage des deux massifs de naissances des arcs constitue peut-être à cet égard le plus beau morceau de bravoure du chantier. « La fonction de ces pièces est habituellement avant tout technique – elles doivent pouvoir supporter les énormes charges transmises par l’arc. Elles sont donc très massives et recèlent une très forte densité d’armatures. Mais l’architecte souhaitait également que ces massifs s’inscrivent dans une continuité esthétique parfaite avec l’arc », décrit Cédric Moysan. Autrement dit, l’entreprise devait fabriquer des pièces massives de 100 m3 en affinant au maximum leur géométrie. La « forêt » d’armatures était ainsi positionnée au millimètre près autour des inserts métalliques et des goujons d’ancrage des appareils d’appui des pieds d’arc. « Une telle concentration d’éléments rendait complexe le coulage et la vibration du béton, mais au final nous y sommes parvenus, en apportant un soin particulier à la formulation du béton des massifs (voir encadré). » 

Les massifs d’ancrage des arcs devaient s’inscrire géométriquement dans le prolongement naturel de l’arc, pour des raisons d’ordre esthétique mais aussi parce qu’ils constituent le point d’accès à l’arc pour les piétons (on voit ici les marches qui se dessinent sur le coffrage de l’extrados). © photothèque NGE

Outre les massifs d’ancrage des pieds d’arc, la réalisation du hourdis en béton armé du tablier s’est avérée elle aussi complexe. D’épaisseur variable transversalement, il a été mis en œuvre par « pianotage » – une méthode de coulage par plots alternés équilibrant l’ouvrage pendant son chargement et limitant les risques de fissuration de la dalle – à l’aide de deux équipages mobiles. « La hauteur variable des poutres maîtresses du tablier rendait difficile le déplacement de ces matériels de coffrages, et nous avons dû adapter leur configuration à ces conditions spécifiques », synthétise Cédric Moysan. 

Le hourdis en béton armé du tablier du viaduc a été réalisé à l’aide de deux équipages mobiles (structures blanches sur la photo) par pianotage : les plots, d’une longueur comprise entre 13 et 15 mètres, étaient coulés dans un ordre permettant d’équilibrer l’ouvrage pendant son chargement tout en limitant les risques de fissuration de la dalle. © Auteurs De Vues

Mis en service en octobre 2022 en même temps que l’ensemble du contournement, le viaduc de la Mayenne est déjà devenu un lieu incontournable pour les promeneurs et les curieux. Et la ville de Château-Gontier compte même profiter de ce nouveau franchissement piétonnier pour créer un nouveau chemin de promenade. 


Des bétons adaptés à chaque usage 

L’optimisation structurelle très poussée du viaduc sur la Mayenne trouve une illustration dans le choix des matériaux qui le constituent. « Nous avons choisi l’acier pour donner de la légèreté à l’arc et aux pilettes, mais le béton, par sa souplesse de mise en œuvre et sa résistance structurelle, s’avérait absolument indispensable pour la construction de tous les autres éléments, justifie Thomas Lavigne. Sa présence était même la condition sine qua non de l’élégance esthétique de l’ensemble. » Les culées, les fondations de la pile, le hourdis et les massifs d’ancrage des pieds d’arc sont ainsi constitués de bétons formulés spécifiquement. Les pièces massives comme les massifs de pieds d’arc intègrent un béton à base de ciment CEM V/A. « Les éléments volumineux, au sein desquels la chaleur se dissipe difficilement, nécessitent de maîtriser les risques d'apparition de la réaction sulfatique interne (RSI). Nous avons donc opté pour ce type de ciment, dont la forte proportion de laitier de haut-fourneau dans la composition limite la montée en température au cœur du matériau lors de la prise du béton et la montée en résistance au très jeune âge », commente Cédric Moysan. 

Le hourdis du tablier est quant à lui constitué d’un béton plus « classique », formulé à partir de ciment CEM I « Portland », qui contient au minimum 95 % de clinker, et dont la prise et la montée en résistance est très rapide. « Pour la réalisation du hourdis, dont l’épaisseur est faible, nous n’étions pas soumis au risque de RSI, mais nous voulions pouvoir disposer d’une bonne résistance au jeune âge – 21 MPa à 18 heures – afin de pouvoir décoffrer rapidement et tenir des cadences élevées de production », décrit Cédric Moysan.

Localiser la réalisation

Chiffres clés

  • 1 400 m3 de béton et 250 tonnes de ferraillage pour les pieds d’arc
  • 36 tonnes d’inserts métalliques noyés en interface de la charpente métallique
  • 1 300 m3 de béton et 370 tonnes de ferraillage pour le hourdis
  • 500 m3 de béton pour les appuis C0, C8 et P1
  • 150 000 m3 de remblais
  • 1 900 tonnes de charpente métallique

Fiche technique

  • Maître d’ouvrage : Conseil départemental de la Mayenne
  • Maître d’œuvre : groupement SCE (ingénierie, mandataire), Thomas LAVIGNE (A.O.A / Lavigne Chéron Architectes), APC Ingénierie (géotechnique)
  • Entreprises de construction : groupement NGE GC mandataire (groupe NGE, Génie Civil), Victor Buyck Steel Construction (Charpente métallique), GUINTOLI (groupe NGE, terrassements) ; escaliers en bois : ECMB
  • Fournisseur béton : Point P
  • Fournisseurs ciment : Lafarge, Calcia



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