Grâce à son tablier 100 % béton construit par encorbellements successifs de voussoirs précontraints, le viaduc du Courtineau franchit majestueusement l’étroite vallée éponyme.
Inscrit au Plan de relance autoroutier d’août 2015, le projet d’élargissement à 2 x 3 voies de l’autoroute A10 en Indre-et-Loire entre Veigné et Sainte-Maure-de-Touraine visait à fluidifier le trafic sur cette portion. Mis en service en juillet 2023, ce projet de 24 km comprenait l’adaptation de 14 ouvrages d’art et la construction de deux nouveaux viaducs.
Le plus long de ces ouvrages, le viaduc du Courtineau, franchit la vallée naturelle éponyme, profonde de 35 m, sur 210 m de longueur. L’ouvrage vient doubler deux viaducs existants, qui supportaient jusqu’à présent chacun un sens de circulation, mais qui ne pouvaient structurellement pas être élargis pour accueillir les nouvelles voies du projet.
Minimiser l’impact esthétique et écologique
« Dans ce contexte, l’intégration esthétique et environnementale du viaduc constituait l’enjeu majeur du projet en termes de conception », expose Jean-Bruce Boisson, directeur d’exploitation pour ETPO, entreprise mandataire du groupement sélectionné par le maître d’ouvrage, Cofiroute, pour construire le viaduc. « Il fallait respecter l’identité architecturale des viaducs exis-tants tout en minimisant l’impact sur le milieu naturel environnant. » Les ouvrages existants étant des viaducs à poutres préfabriquées en béton précontraint par post-tension (VIPP), c’est tout naturellement que le choix d’un tablier tout béton fut fait. « Pour assurer la meilleure transparence visuelle et écologique, les piles du nouveau tablier ont été alignées sur celles de l’ancien viaduc, et leur nombre a été réduit à 2 – contre 5 pour les VIPP », poursuit Jean-Bruce Boisson.
Comment atteindre une portée de 94 m ?
Cette réduction du nombre d’appuis augmentait mécaniquement la taille des travées – la plus grande atteignant 94 m. La technologie VIPP ne permettant pas d’atteindre ces portées, c’est la technique du viaduc en caisson en béton précontraint construit par encorbellements successifs qui fut choisie. « Cette technique, très utilisée en France au XXe siècle, est devenue rare. Elle consiste à construire le tablier par éléments successifs, appelés voussoirs, positionnés en encorbellement, c’est-à-dire en saillie, par rapport aux éléments précédents », détaille le directeur d’exploitation. Le processus, complexe, est extrêmement ingénieux et fait appel à un phasage très précis.
Un tablier en équilibre au-dessus du vide
Sur le chantier, le processus a commencé par le coulage d’un premier voussoir, directement au-dessus de chaque pile. « Ce voussoir, appelé voussoir sur pile, servait de point de départ pour l’extension en porte-à-faux de part et d’autre des piles. » Une fois que le premier voussoir était suffisamment résistant, les voussoirs suivants pouvaient être coulés par paires, de part et d’autre de chaque pile, au sein de structures de coffrages glissants : les équipages mobiles. « Cette progression symétrique était essentielle pour maintenir l’équilibre et éviter toute déformation ou instabilité de la structure. » Après le coulage de chacun des 52 voussoirs courants, un ensemble de câbles de précontrainte étaient mis en œuvre, afin de lier tous les éléments entre eux et permettre de supporter le porte-à-faux. Enfin, lorsque les encorbellements de part et d’autre des piles se sont rejoints, un dernier voussoir, appelé voussoir de clavage, a été coulé. « Le coulage de ce dernier voussoir est toujours un moment intense et mémorable pour les équipes de chantier, puisqu’il fait la jonction entre deux parties du tablier, et achève de manière symbolique la structure du pont », estime Jean-Bruce Boisson. Au-delà du symbole, le clavage constitue une opération délicate, nécessitant une grande précision pour assurer l’alignement et l’intégrité structurelle de l’ensemble du tablier.
Des fondations imposées par la géologie du site
Mais si la construction du tablier est l’opération majeure du chantier, elle n’est chronologiquement pas la première. Préalablement, il a fallu ériger les piles, elles-mêmes liaisonnées à des fondations ancrées solidement dans le sol. Le choix de ces dernières a été dicté par la géologie du site. « Sur la rive gauche du Courtineau, la présence d’une base rocheuse solide a permis l’utilisation de fondations superficielles simples. » Soit une semelle en béton armé de 9 x 9 m de 2,5 m d’épaisseur, posée directement sur le rocher, assurant une surface de contact suffisante pour une répartition homogène des charges. « Mais l’horizon géologique au droit de la deuxième pile, caractérisé par un sol plus mou et gorgé d’eau, était moins favorable. » Il était dans ce cas nécessaire de créer un environnement sec et contrôlé avant de pouvoir réaliser la fondation. « Nous avons tout d’abord mis en place une enceinte étanche – un batardeau – autour de la future fondation, avant de réaliser un bouchon de béton injecté de 3 m d’épaisseur, destiné à éviter les remontées d’eau et l’effet de renard – un phénomène de lessivage créé par l’écoulement souterrain de l’eau. » Ensuite, 6 pieux de grand diamètre (1 760 mm) et de grande profondeur (18 m) ont été forés pour aller s’ancrer dans le substratum rocheux, précédant le coulage d’une semelle, similaire à celle de la première fondation.
C’est sur ces bases solides que les travaux d’érection des deux piles, s’élevant à 18 m et 26 m, ont alors pu démarrer. Après une première levée, qui jouait le rôle de raidisseur, chacune d’elles, constituée de deux fûts rectangulaires, a pu être coulée par passes successives à l’aide d’un coffrage grimpant. Au sommet, un chevêtre rectangulaire a enfin été réalisé pour assurer la jonction structurelle entre les piles et le tablier. Ne restait plus alors au groupement d’entreprises qu’à mettre en œuvre l’étanchéité de la future chaussée. Démarré en novembre 2019, le chantier a été livré en décembre 2022. L’élargissement a quant à lui été mis en service en juillet 2023.
Le juste béton au juste endroit !
La réussite de la construction du viaduc du Courtineau, ouvrage 100 % béton, doit beaucoup à la collaboration étroite entre le groupement de génie civil ETPO/NGE GC et le fournisseur de bétons Heidelberg Materials. Les équipes qualité ont en effet été fortement mobilisées durant toute la durée du chantier auprès des entreprises pour que les formulations puissent être optimales à tout moment. « La contrainte générale que nous avions était celle des délais. Le planning très serré nous obligeait à disposer de bétons dont la résistance au jeune âge était suffisante pour pouvoir décoffrer rapidement », explique Jean-Bruce Boisson. Cette contrainte devait être confrontée aux exigences spécifiques de chaque partie d’ouvrage. « Pour les pièces les plus massives, comme les voussoirs sur piles, les raidisseurs en pied de piles et les chevêtres, nous devions limiter absolument la montée de température à cœur lors de la prise du béton, afin de maîtriser les risques d’apparition de la réaction sulfatique interne (RSI) », poursuit le directeur d’exploitation d’ETPO. Pour ces pièces, c’est un béton formulé à partir d’un ciment CEM III/A, faiblement dosé en clinker – un composant particulièrement exothermique – et riche en laitiers de haut-fourneau, qui a été utilisé. « La montée en résistance de ce type de béton est assez lente, mais cela n’était pas gênant pour ces éléments, peu nombreux. » Pour les parties courantes du pont, à savoir les levées des piles et les voussoirs courants, le paramètre temps était plus critique. Le béton des piles a ainsi été formulé à partir d’un CEM V/A alliant laitiers de haut-fourneau et pouzzolanes. « Ce béton était un bon compromis car il permettait également de limiter les risques d’apparition de RSI tout en réduisant les temps de décoffrage. » Enfin, pour les voussoirs courants, le temps de rotation des banches fixé était si court – 1 coffrage/décoffrage tous les 3 jours – que seul un béton formulé à partir de ciment Portland CEM I était adapté. « Pour limiter les risques de RSI, nous avons pris toutes les précautions possibles », explique Jean-Bruce Boisson. Une étude thermodynamique a ainsi été réalisée, imposant d’arrêter le bétonnage dès que la température extérieure dépassait 31 °C. « En été, cela nous a amenés à couler les voussoirs très tôt le matin ! », commente Jean-Bruce Boisson. Et puisque deux précautions valent mieux qu’une, les 52 voussoirs ont été instrumentés par le service qualité du bétonnier tout au long du chantier, afin de pouvoir déterminer une résistance minimale pour pouvoir décoffrer en toute sécurité. Au final, grâce à ce dispositif, le tablier a pu être réalisé sans aléa et avec le niveau de qualité attendu.
Les voussoirs en béton précontraint : tout un art !
Afin de pouvoir atteindre des portées très importantes, les 52 voussoirs en caisson de béton formant le tablier sont liaisonnés les uns aux autres par un ensemble de câbles de précontrainte. « En réalité, on distingue trois familles différentes de câbles », expose Jean-Bruce Boisson. La première famille est celle des câbles de précontrainte de fléau, qui tiennent les voussoirs en porte-à-faux à l’avancement. « Situés en partie haute de la section du tablier, ils sont essentiels pour contrebalancer les charges et éviter que les segments en cours de construction ne basculent ou s’affaissent ». La deuxième famille est celle des câbles d’éclisse, utilisés en partie basse pour renforcer les zones d’interface entre segments. « Ils sont particulièrement importants en milieu de travée, là où le moment fléchissant est le plus élevé ». Enfin, les câbles de précontrainte extérieure, dits de continuité, viennent « coudre » les différents segments du pont une fois la construction complète. « Ce sont les câbles les plus longs puisqu’ils vont d’un voussoir sur pile à l’autre, et sur notre chantier ils atteignent 157 m de long ». En tout, 160 t de câbles de précontrainte ont été mis en place sur le chantier.
Localiser la réalisation
Reportage photos : VINCI AUTOROUTES/MITHRA VISION, ETPO
Chiffres clés
- Longueur totale du tablier : 210 m, la portée la plus longue atteint 94 m
- Volume de béton : 8 000 m3
- Quantité d’armatures passives : 1 000 t
- Quantité de câbles de précontrainte dans le tablier : 160 t
Fiche technique
- Maître d’ouvrage : Cofiroute (Vinci Autoroutes)
- Maître d’œuvre : Ingérop
- Groupement entreprises génie civil : ETPO (mandataire)/NGE GC
- Fournisseur bétons : Heidelberg Materials et BML
- Coût : 17 M€ HT.