Fresques ou graffitis, petits espaces pris sur de grands murs, pour des messages poétiques ou politiques, ce sont les mille visages de l’art urbain déclinés sur des ouvrages de génie civil. Petite promenade en France et ailleurs, à travers ces espaces d’expression hors de la ville, le plus souvent sur commande publique ou privée.
Depuis une quarantaine d’années, le Street Art est un courant artistique important, devenu aujourd’hui un nouveau monde d’images de la mondialisation. Les murs parlent, tiennent le haut du pavé et portent la parole de ces artistes de rue indignés par trop de discours médiatiques politiquement corrects. Les artistes engagés n’acceptent plus l’austérité éternellement reconductible de la vie politique, économique ou sociale.
Le Street Art joue le rôle de la sentinelle inductrice de prise de conscience sociétale. Tel un jeu virtuel de subversion urbaine, le Street Art induit une vision nouvelle des murs du quotidien. Par ce détournement du mobilier urbain, les artistes en métamorphosent les espaces comme par la magie d’un regard entre les guillemets d’un panneau publicitaire ou d’une palissade de chantier. C’est la liberté de réinventer le monde dans une joyeuse contestation créative.
Des peintures rupestres aux graffitis de New York, le Street Art démystifie la valeur d’originale nouveauté pour y voir un art humaniste à destination des populations locales. Entre bombes aérosols et messages poétiques, ces artistes électrons libres et souvent anonymes, dont la perception oscille entre vandalisme et génie, sous-culture et contre-culture, emportent souvent l’adhésion du public.
Le monde est une toile, dont les murs ont la mémoire longue, dans le hasard des rues, impossible de ne pas rencontrer une fresque éphémère, c’est la démocratisation de l’expression artistique vers un large public qui fait du Street Art un acte politique. Qu’ils soient anonymes, pseudonymes ou simples quidams, les Street artistes ou peintres de rue revendiquent leurs origines politiques ou poétiques dans l’espace de création urbain. Mais pour les ouvrages d’art hors de la ville, on s’oriente vers des commandes précises de l’espace privé ou public au sens très large, dépassant la communauté urbaine.
De la centrale de Cruas...
Première halte devant la centrale nucléaire de Cruas. C’est ainsi qu’en 1991, la première peinture monumentale que l’on peut relier au Street art est réalisée par Jean-Marie Pierret.
« Le Verseau », représentant un enfant nu tenant une coquille dans la main, sur l’une des tours de refroidissement de la centrale EDF de Cruas-Meysse en Ardèche, est visible de l’autoroute A7. Six mois d’études et trois mois de travail furent nécessaires pour sa réalisation, 12 500 m2 sur 155 m de haut. C’est une référence au mythe du Verseau, à la présence de l’eau dans le schiste ardéchois, à l’idée de fusion et de refroidissement conjugués au cœur de la peinture.
C’est en empruntant un chemin de randonnée que l’on découvre la fresque de Ella & Pitr. Ils travaillent ensemble depuis plus de 10 ans et sont connus pour leurs peintures géantes au sol ou sur les toits, représentant des « colosses endormis » dans le chaos des villes. De nombreuses créatures du duo stéphanois sont en train de dormir les jambes ramassées, contraintes par le cadre imposé du support choisi, comme au barrage du Piney de la commune de La Valla-en-Gier au Pilat, avec la fresque « Le Naufrage de bienvenue ». Une commande de la ville de Saint-Étienne ayant demandé 10 jours de travail. Ce nouveau géant de 47 m de hauteur et au calme étrange du sommeil des enfants est appelé à s’inscrire dans le patrimoine régional. Il est porteur d’un ailleurs, d’autres possibilités de vie et de rêves à inventer. Une échappée belle poétique, esthétique et politique.
... à la Réunion
Bien qu’il vienne régulièrement en métropole, c’est dans l’île de la Réunion au sein de l’océan Indien que sévit Jace. Certes, il a commencé par du Street Art sauvage, mais il répond aussi à des commandes. Ainsi, c’est la région Réunion qui le sollicite, lui offrant une pile d’un pont de 16 m de hauteur en béton brut dressée dans le lit de la rivière Saint-Étienne, afin de valider les matériaux utilisés avant le début de la construction du pont. Jace peut y exercer son art, en dessinant son célèbre Gouzou, qui court partout. Elle est désormais devenue une œuvre d’art, représentant deux anges actionnant une fermeture éclair pour recouvrir un mur de briques, le tout dans un décor de forêt tropicale. Au dos de l’édifice, des anges Gouzous semblent heureux de se prélasser dans la forêt. Une scène qui vient enrichir la galerie des petits bonshommes de Jace à la Réunion.
Ce travail fut réalisé en présence de nombreux fans, désirant découvrir le visage de l’artiste. Tout le monde peut admirer l’œuvre de Jace à droite du pont, côté Saint-Louis en allant vers le sud. Jolie reconversion pour une pile témoin, qui devait être démontée.
En 2009, alors que l’autoroute des Tamarins se termine, Jace et ses complices repeignent en une nuit un mur de soutènement de 1 000 m2. La région finira par entériner l’œuvre et ne fera changer que le fond bleu de la fresque.
De l’exubérance du style à La Coulure
Voici Speedy Graphito avec son exubérance de style. Il officie en ville, mais aussi sur des ouvrages de génie Civil, comme au festival « La voie est libre » de Montreuil en 2012. Chaque année, une portion de route est fermée afin d’inviter les passants à s’y promener. Une dizaine de Street Artistes colorent cette balade atypique. Speedy Graphito se définit comme un DJ des arts plastiques, il mixe les genres, les époques et les images. Il n’hésite pas à confronter Mickey et Mario Bros, à faire croquer Blanche- Neige dans le logo d’Apple. Il brouille les aiguilles du temps et désynchronise l’espace pour faire basculer vers une autre dimension.
En juillet 2015, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Saclay, à Gif-sur-Yvette dans l’Essonne, a ouvert ses portes au public afin de lui faire découvrir les œuvres du street artiste C215, qui a transformé ce « petit village » en galerie d’art. L’exposition E = MC215 où l’art rencontre la science. Lorsque Jean-Luc Sida, chercheur au CEA, propose à C215 un partenariat, le Street artiste de 40 ans commence par hésiter pour des raisons de positionnement sur le nucléaire, mais accepte finalement de relever le défi de cette mission. Au total, 25 de ses œuvres représentant des personnages illustres de la physique sont disséminées sur l’ensemble de cet espace quasi aseptisé. Et parmi tous ces personnages, quelques peintures de chats ou d’oiseaux sont aléatoirement distribuées dans les locaux. Ce grand projet est ainsi à l’image de la carrière tardive de C215, adaptative, hétéroclite, mais néanmoins très personnelle. L’état d’esprit E = MC215 se poursuit avec une exposition transversale au Cnam et au musée des Arts et Métiers, à Paris. Le Street artiste y ressuscite des objets scientifiques quelquefois désuets, afin de les animer d’une vie nouvelle.
En 2007, le collectif La Coulure est créé grâce à la motivation de Reno Kidd et de Dr Chips, deux artistes évoluant ensemble dans le monde du graffiti et du Street Art depuis une dizaine d’années.
Grand projet de l’été 2014, la peinture réalisée sur le château d’eau de Blanzy, en Saône-et-Loire, a pris beaucoup de temps et d’énergie. La surface à peindre est d’environ 250 m2. « Perchés à 15 m de hauteur sur notre nacelle, nous n’en menions pas large. La maquette a été réalisée avec les enfants et adolescents de la ville sous forme d’ateliers en partenariat avec le centre social local. Elle a ensuite été validée par la mairie, la communauté de communes et Orange France Télécom. Nous avons travaillé sur une représentation de la ville de Blanzy, ses monuments et points de repère, ses activités et ses habitants », explique Reno Kidd.
Le Génie Civil sur le terrain de l’art
C’est à travers ce petit périple de la métropole à la Réunion que nous vous avons fait découvrir certains exemples du Street Art sur des ouvrages de Génie Civil hors de la ville. Les Street artistes ont désormais sur commande un nouveau terrain de jeu à échelle monumentale et visible de tous.
Diderot soulignait que « le patrimoine, c’est aimer et désirer ce que l’on possède déjà », pourtant le patrimoine, c’est aussi le mélange des cultures. Ainsi, comme l’ont montré les Streets artistes à travers le monde, les graffitis et le Génie Civil à priori antinomiques, se rejoignent sur le terrain de l’art.