Une cotte de mailles en béton conforte désormais l’extrémité des digues qui protègent le Vieux-Port de Cannes. Ce projet donne l’occasion de créer une promenade maritime panoramique.
Face aux îles de Lérins, les digues Laubeuf et du Large étaient censées protéger le Vieux-Port de Cannes. Mais force fut de constater qu’à la suite de fortes tempêtes qui provoquèrent d’importants dégâts, elles ne faisaient plus le poids. C’est pourquoi les collectivités qui se partagent la gestion de l’ouvrage ont décidé de le conforter dans son intégralité.
Un chantier en trois temps
Afin de ne pas perturber les activités culturelles et touristiques de la ville de Cannes, le chantier se déroulera en trois phases entre 2019 et 2021.
L’ouvrage est donc découpé en trois sections, présentées ici selon l’ordre chronologique adopté pour les travaux : l’hélistation, le musoir et le nouveau phare (longueur de la section 215 m) ; la digue du Large et le phare historique (210 m) ; l’épi, la digue Laubeuf, le parking éponyme (190 m) et la future rampe d’accès vers la promenade maritime. L’hélistation sera fermée durant la première phase de travaux tandis que le parking Laubeuf sera partiellement ouvert (65 places conservées) pendant toute la durée du chantier.
Chaque section possède des caractéristiques techniques, des fonctions intrinsèques et des contraintes qui lui sont propres, mais à l’exception de l’épi, l’infrastructure sera intégralement remaniée. Nouveau profil, reprise des fondations avec des enrochements supplémentaires, confortement de la digue par une carapace en béton, véritable cotte de mailles constituée de milliers de blocs en béton dotés de protubérances tronconiques : ces ACCROPODE™ II optimisent l’accrochage des éléments entre eux et permettent d’augmenter la pente d’une digue à talus. Ce modèle a été breveté par CLI, Concrete Layer Innovations, filiale d’Artelia, qui conseille l’entreprise pour sa fabrication et sa mise en œuvre.
Dernière pièce de cette barrière anti-houle, un mur chasse-mer protégera l’infrastructure et le port des « coups de tabac ». Profitant de ces importants travaux, les digues seront ainsi requalifiées en « promenade ».
Promenade urbaine panoramique
« Nous avons saisi l’opportunité de ce chantier purement technique pour donner à l’ouvrage une fonction d’espace public spécifique en transformant la digue en promenade maritime panoramique », explique Jean-Louis Durochat, architecte paysagiste de l’opération et assistant de la maîtrise d’ouvrage pour la cohérence urbanistique. « La fonction urbaine et paysagère de la digue était restreinte. Elle se réduisait à la plateforme du parking Laubeuf. Or les digues offrent l’un des plus beaux points de vue sur la baie de Cannes, des îles de Lérins à l’Esterel. Nous avons donc profité de ces travaux titanesques pour mettre en valeur le Vieux-Port, berceau de la ville, au moyen d’une promenade qui viendra se poser en superstructure sur le mur chasse-mer. » Soutenu par Luc Albouy, chef du service territorial de l’architecture et du patrimoine des Alpes-Maritimes.
Jean-Louis Durochat a insisté sur certains détails esthétiques, notamment la suppression des redans du mur chasse-mer moyennant un élargissement de l’infrastructure, indispensable pour porter la future promenade urbaine. Les digues sont redimensionnées pour être plus hautes et plus larges. « Deux belvédères seront érigés, l’un sur la digue Laubeuf, l’autre à l’extrémité de la digue du Large, près du phare historique auquel on peut enfin accéder grâce à la nouvelle géométrie et à la hauteur de l’ouvrage qui l’affranchissent des règles du Code International pour la Sûreté des Navires et des Installations Portuaires. »
Cohérence paysagère
La nouvelle promenade de plus de 400 m de long, est accessible aux personnes à mobilité réduite au moyen d’une rampe en pente douce (80 m) qui la relie à l’esplanade Leclerc ainsi qu’aux promenades qui existent déjà le long du bord de mer – quai Saint-Pierre et aménagements de Boccacabana. Pour assurer une continuité visuelle, son revêtement sera constitué des mêmes pavés en calcaire que ceux des espaces publics mitoyens. La présence d’un mobilier à connotation maritime achève d’intégrer le nouvel espace public dans le paysage urbain. Côté parking, le mur de renvoi de houle sera végétalisé pour créer une cohérence paysagère avec l’esplanade Leclerc.
Déroulement de la première phase
Le confortement des digues est réalisé par un groupement d’entreprises qui mettent en commun leur expertise et leurs moyens pour assurer les travaux maritimes, le génie civil, l’insertion des réseaux et la préfabrication des éléments en béton (ACCROPODE™ II et mur chasse-mer). Les travaux se sont déroulés d’octobre 2018 à avril 2019 par voie terrestre, le parking Laubeuf servant de plateforme de chantier. L’exiguïté à l’extrémité de la digue n’a pas simplifié les conditions de réalisation et a nécessité la construction d’ouvrages temporaires. La cinématique fut structurée en trois étapes, à commencer par la dépose d’une sous-couche d’enrochements (200 cubes en béton) et d’enrochements naturels (10 000 m3) en pied de l’ouvrage. La deuxième étape fut de reconfigurer le profil de la digue avec la mise en place de 1 179 ACCROPODE™ II dont la forme, le volume (4 m3) et le poids (9,6 t) rendent la carapace particulièrement résistante aux assauts de la mer. Enfin, la première phase s’est terminée avec la réalisation d’une partie du mur chasse-mer.
Cotte de mailles en béton
À proximité de la centrale à béton, le groupement s’est installé dans un site SNCF à La Bocca qui sert d’usine de préfabrication pour les ACCROPODE™ II. « Il s’agit d’un béton “en circuit court” puisque 100 % de ses composants proviennent des Alpes-Maritimes », explique Didier Lhôte, chef de centre Alpes-Maritimes pour LafargeHolcim. « Sa teinte claire s’harmonise avec l’écume de mer et les éléments patrimoniaux de la digue historique. Pour obtenir la densité prise en compte par les calculs de l’ouvrage, la formulation n’était pas évidente à trouver car il était impératif que la masse des blocs avoisine les 10 t sans ajout de métaux ferreux, puisque les ACCROPODE™II sont immergés dans l’eau. Nous avons également mis au point deux formulations pour accroître la résistance au jeune âge, favoriser la manutention été comme hiver et respecter la chaleur d’hydratation au cœur des ouvrages pendant les fortes chaleurs. »
Les blocs sont coulés en une fois dans les moules spécifiques, à raison de 20 par jour. « Bien qu’ils soient tous identiques, chaque ACCROPODE™II a une carte d’identité propre », assure Pierre Poma, directeur d’agence TP Spada. « Chaque bloc est numéroté, pesé et placé sur la digue selon un plan de calepinage très précis réalisé en 3D en fonction de son exposition à la houle et aux courants marins.Cette traçabilité assure un suivi dans le temps. » Ils sont ensuite posés bloc par bloc avec une grue de 170 t. Pour les poser à l’emplacement exact, les machines sont équipées de GPS et, dans l’eau, la manœuvre est guidée par un plongeur.
Une haute surveillance environnementale
Le confortement des digues s’accompagne de mesures environnementales pour protéger les massifs de posidonies et les nacres : avant la pose, tous les blocs, de quelque nature qu’ils soient, sont lessivés pour réduire les apports de fines ; les potentielles nuisances générées par le chantier sont compensées par l’interdiction de mouillage durant les travaux ; les enrochements déposés sont réutilisés ; enfin, le choix d’une carapace composée d’ACCROPODE™ II offre, outre un bon rapport qualité/prix/technique/efficacité/sécurité, une solution beaucoup moins impactante en matière d’utilisation de ressources que les enrochements naturels puisqu’ils consomment trois à quatre fois moins de matériaux. Formant ainsi une carapace pleine de vide qui s’apparente à un récif artificiel, les ACCROPODE™ II favorisent le développement de la biodiversité marine. À terme, 4 027 ACCROPODE™ II viendront conforter les digues.
Les phases suivantes verront le confortement de la digue du Large et la réalisation du mur chasse-mer d’octobre 2019 à avril 2020 ; puis, d’octobre 2020 à avril 2021, l’achèvement des travaux sur la digue Laubeuf, son épi rocheux et son parking, la dernière séquence du mur chasse-mer, la mise en œuvre de la rampe d’accès à la promenade et l’aménagement de l’espace public.
Reportage photos : Jean-Louis Durochat, Archipay ; Gilles Tessera, LafargeHolcim
Principaux intervenants
Maître d’ouvrage : CCI Nice-Côte d’Azur ; ville de Cannes ; conseil départemental des Alpes-Maritimes ; communauté de communes – AMO maîtrise d’œuvre urbaine, architecte et paysagiste : Jean-Louis Durochat (Archipay) – Maîtrise d’œuvre : Egis – Entreprises : groupement associant TP Spada, mandataire ; Jean Negri & Fils, Razel Bec et Campenon Bernard TP Côte d’Azur.