À l’entrée de la Zac Rouget-de-Lisle, un immeuble-proue en béton brut s’affirme dans un tissu urbain contrasté tout en répondant aux exigences environnementales.
La Zac Rouget-de-Lisle est située au sud de la ville de Vitry-sur-Seine, à proximité immédiate de l’A86. Son périmètre se développe sur environ 9 hectares le long de l’avenue qui relie le xiiie arrondissement de Paris à Orly. Il recouvre une emprise en fuseau composée d’une succession d’îlots en mutation. Dessiné par l’architecte Carmen Santana de l’agence Archikubik, le plan directeur du nouveau quartier est structuré par de nombreuses liaisons transversales. Autant de percées qui renforcent les liens entre la commune, le fleuve qui la borde à l’est et le parc des Lilas à l’ouest.
Un immeuble-proue
Cette opération de restructuration urbaine combine un programme mixte de commerces et d’activités économiques avec près de 870 logements. Implantées à l’alignement, sous forme de plots reliés par des espaces publics, les nouvelles constructions requalifient l’axe routier aujourd’hui élargi et transformé en boulevard urbain en vue de l’arrivée prochaine du tramway. À l’extrême nord de la Zac, une parcelle d’angle opère la charnière entre une succession de maisonnettes constituant le tissu vernaculaire de l’ancienne banlieue ouvrière et un ensemble d’immeubles rectilignes construit au cours des Trente Glorieuses. Comment opérer le lien entre deux modes d’habiter si opposés ? Comment, dans un territoire aussi contrasté, concevoir une architecture d’aujourd’hui, sans désavouer le passé ou se complaire dans la nostalgie ? Telle est, pourrait-on dire, la question posée aux architectes Valéro et Gadan lorsqu’ils héritent de la commande de 66 logements sociaux.
De cette problématique émerge un immeuble-proue, qu’ils insèrent à l’alignement de l’avenue Rouget-de-Lisle. Le volume longiligne est déformé verticalement et horizontalement au gré du découpage parcellaire selon un épannelage en trois parties qui l’élève progressivement de R+5 à R+8. Également présent dans le sens transversal, cet étagement passe de R+5 à R+1 entre l’avenue et la petite rue Coquelin située sur l’arrière. En transposant le tissu fragmenté du pavillonnaire à l’échelle des grandes barres des années soixante, la volumétrie du bâtiment établit un lien spatial entre les deux quartiers. En rez-de-chaussée, l’implantation d’un commerce ouvrant par de grandes baies vitrées sur une nouvelle place conforte cette intention en contribuant à l’animation de la vie locale.
Au nord, le premier volume, le plus haut, signale l’entrée du nouveau quartier. Situé en retrait, le troisième étage renforce la verticalité de la proue tout en donnant une figure sculpturale au pignon, à l’image d’un totem. Bernard Valéro ne cache pas que deux niveaux supplémentaires auraient été bienvenus. « Mais, explique le maître d’œuvre, malgré la réactivation des débats sur les tours, la métropole parisienne est encore un peu frileuse sur les hauteurs plafonds ; les choses avancent lentement. »
Au centre de l’immeuble, une partie à R+6 ancre l’édifice dans le site grâce à un socle revêtu de briques noires qui le relie au troisième bloc. Surplombant les pavillons, un hall traversant double hauteur dessert les deux cages d’escalier. Largement vitré, cet espace bénéficie d’une ambiance chaleureuse tout au long de la journée grâce à son orientation.
Enfin, au sud, un troisième volume à R+5 assure une transition douce avec l’immeuble voisin
à R+3. Entre les deux, un jardin transversal termine le lot.
Plans, façades, volumes
En premier lieu, les 66 logements de l’opération sont implantés de manière à profiter d’une double exposition, ou d’une orientation plein ouest, et de vues dégagées. Les façades sont ensuite dessinées pour qu’apparaissent les effets de masse et les différents plans. Composées d’un savant équilibre entre les pleins et les vides, elles créent des profondeurs et des effets de double peau qui modifient la perception des volumes. Pensés dans la continuité des logements, que ce soient des T3, des T4 ou des T5, les espaces extérieurs et les percements participent pleinement à la composition et à l’articulation des gabarits. Un nouveau retour au plan permet de caler le projet et ainsi de suite jusqu’à ce que la façade ait acquis une épaisseur qui donne au bâtiment sa force, son dessin et ses proportions. Enfin, la mise en couleurs accuse la composition générale. Ainsi, les parements lasurés dans une teinte or répondent à ceux laissés bruts qui donnent à voir les qualités plastiques du béton clair. Cette inversion des teintes révèle l’agencement des volumes avec une grande sobriété.
Dans le même esprit, les loggias sont intégralement peintes en doré, y compris leurs garde-corps métalliques. Constituant des espaces en creux dans l’enveloppe générale de l’immeuble, elles répondent elles aussi aux façades en béton clair.
La qualité du bâtiment tient également à la finition des bétons autoplaçants qui n’ont fait l’objet que de rattrapages ponctuels par grattage et ponçage, sans recourir à des opérations de ragréage ou de colmatage. Bernard Valéro défend avec conviction le résultat final :
« Si quelques défauts ont pu apparaître dans la mise en œuvre, il ne s’agissait pas de tout refaire pour obtenir une perfection dénuée de sens mais de retrouver une homogénéité d’aspect appréciable dans des conditions réelles, à distance, depuis la rue. »
Approche environnementale et durabilité du bâtiment
Conçue dans le cadre d’une démarche HQE®, l’opération présente de nombreux attributs du développement durable : jardin en pleine terre, terrasses végétalisées accessibles, système de récupération des eaux pluviales, bassin de rétention souterrain limitant le débit de fuite, éclairement naturel des logements, confort thermique, équipements techniques dissimulés en toiture… « Des choses finalement assez fréquentes aujourd’hui, le minimum d’une démarche un tant soit peu vertueuse », précise l’architecte pour qui les principaux gages de la durabilité de l’opération sont la pérennité et la réversibilité.
Ainsi, afin de permettre une éventuelle transformation du bâtiment dans le futur, le plan est composé sur la trame européenne de bureaux qui se retrouvent dans la dimension des ouvertures (selon un pas de 0,90 ou 1,35 m).
La pérennité de l’ouvrage est, quant à elle, assurée par la combinaison de refends porteurs et de façades porteuses en béton brut autoplaçant coulé en place.
Performances thermiques et façades en béton brut
Évoquant le parfait état des bâtiments construits vingt ans auparavant avec son associé, le concepteur défend avec vigueur le béton. Un matériau durable qu’il oppose aux vêtures légères, trop fragiles pour le modèle économique dans lequel on construit actuellement selon lui. À Vitry, les moyens de mise en œuvre sont classiques, en correspondance avec le budget limité d’une opération de logements sociaux. Le choix d’un système constructif en béton coulé en place répond parfaitement aux exigences énergétiques du maître d’ouvrage.
Un travail sur la compacité de l’ouvrage, les ouvertures et la gestion des ponts thermiques avec des rupteurs équipés d’un isolant de forte densité, garant d’une tenue au feu et d’une conductivité maîtrisées, assure le niveau de performance demandé par la réglementation tout en préservant les qualités d’aspect des parements en béton apparent.
Une réflexion qui démontre qu’une structure en béton armé coulée en place, associée à une isolation intérieure de qualité, permet d’obtenir une certification Habitat & Environnement RT 2012 - 10 % tout en exploitant les qualités d’aspect et de durabilité de façades en béton brut ou peint.
Reportage photos : Hervé Abbadie
Maître d’ouvrage : Sadev 94 – Maître d’œuvre : Valéro Gadan Architectes & Associés – BET TCE : EPDC – Entreprise générale : Legendre Construction – Surfaces : 4 550 m2 SDP, 4 100 m2 SHAB – Coût : 7 M€ HT –Programme : construction de 66 logements collectifs locatifs et d’un commerce.