Implantée à 35 mètres de profondeur à l’aplomb du CNIT à la Défense, la future gare du RER E fait l’objet d’un chantier entièrement souterrain avec des contraintes particulièrement complexes.
La mobilité est au cœur des projets du Grand Paris. Outre le Grand Paris Express (GPE), ce réseau de 4 lignes de métro automatique de 200 km autour de Paris, plusieurs prolongations de lignes de métro et de RER sont programmées. C’est le cas de la ligne E du RER, dite « Eole », dont l’extension à l’ouest de Paris comptera trois nouvelles gares. Celle qui représente sans doute le plus grand défi technique est la future gare CNIT-La Défense. Car comme son nom l’indique, elle sera située sous… le CNIT, cette célèbre voûte triangulaire en coque de béton ultramince !
Un choix d’implantation qui n’était pas forcément évident a priori mais qui s’est imposé car il offrait le « meilleur compromis entre contraintes techniques et mise en connexion avec les autres lignes de transport de la Défense (ligne 1 du métro, Transilien, tram…) », explique Louis Canolle, directeur adjoint du projet pour le groupement de maîtrise d’œuvre. Une fois le site choisi, restait à positionner précisément la gare.
« Il fallait que le projet n’entraîne aucune sujétion technique sur la voûte du CNIT et qu’il soit le plus éloigné possible de ses fondations », précise Louis Canolle.
Logiquement, il a donc été décidé que la gare serait positionnée à l’équicentre des trois culées de la voûte du CNIT, tout en restant à bonne distance des tirants horizontaux qui les relient et qui assurent la stabilité de la coque. L’implantation verticale devait quant à elle respecter trois contraintes, dont l’une géologique : « La gare devait s’inscrire sous le niveau bas des parkings du CNIT, être à la bonne profondeur pour faciliter les correspondances avec les autres lignes de transport, et elle devait enfin être positionnée au-dessus des sables argileux de Cuise, peu favorables à l’ancrage de structures », poursuit Louis Canolle.
Au final, il a été décidé que la gare serait enterrée à 35 m sous le rez-de-chaussée du CNIT, dans le massif calcaire favorable de la Défense. Sa partie centrale de 110 m de long (pour une longueur de quai de 225 m),
33 m de large et 15 m de haut se trouve sous les constructions abritées par la voûte du CNIT, structurellement totalement indépendantes de celle-ci. Cet ensemble s’étage sur 5 à 11 niveaux et comprend notamment un centre commercial, un hôtel de luxe et quatre niveaux de parkings.
75 000 tonnes à reprendre en sous-œuvre
Il s’agissait donc de construire la gare en reprenant la totalité des quelque 75 000 tonnes de charges des bâtiments existants, sans qu’ils ne soient déstabilisés, et en gardant le CNIT en exploitation ! « La seule méthode qui permettait de garantir le contrôle des déformations était la reprise en sous-œuvre des structures de l’ensemble bâti », explique Guillaume Le Réveillé, directeur du projet pour le groupement constructeur piloté par Vinci Construction France.
Les mouvements de 24 poteaux contrôlés simultanément
Pour reprendre simultanément les descentes de charges des 119 poteaux structurels existants, un dispositif exceptionnel a été mis en place. Il consiste à transférer les efforts, qui étaient jusqu’ici repris par les semelles de fondation de chaque poteau, vers une structure d’appui provisoire. Pour ce faire, chaque poteau est moisé (c’est-à-dire « pris en tenaille ») par deux corsets de béton armé bridés par des barres de précontrainte. Ces massifs précontraints sont appuyés sur quatre groupes de micropieux, ancrés dans le sol sur une longueur de 12 à 15 m, par l’intermédiaire de charpentes métalliques. Une fois ce dispositif temporaire de reprise de charges des poteaux mis en place, la base du poteau peut être désolidarisée de la semelle de fondation par sciage. Les déplacements millimétriques liés au relâchement des tensions lors du transfert de charges sur les appuis temporaires sont contrôlés par un ensemble de vérins hydrauliques asservis. « Les vérins compensent les déplacements verticaux au dixième de millimètre liés au petit décalage existant entre les descentes de charges calculées théoriquement et celles que l’on observe en pratique », décrit Marc Roussilhes, directeur de production pour le groupement d’entreprises. L’ampleur du système d’asservissement est sans équivalent :
« Nous avons développé une centrale qui permet de contrôler la totalité des vérins de 24 poteaux simultanément », précise Marc Roussilhes.
« Ainsi, si une zone éloignée d’un poteau en cours de sciage subit des tassements plus élevés que prévu, le système d’asservissement permet de corriger ces déformations instantanément. »
L’ensemble est totalement sécurisé : des capteurs et des alarmes veillent à l’intégrité des circuits hydrauliques et la géométrie des ouvrages est vérifiée en continu. « En cas de perte de pression dans les vérins ou en cas de déplacement inopiné, une alerte est déclenchée et le système compense instantanément la défaillance. »
Construction de 61 piliers…
Une fois l’ensemble des poteaux repris en sous-œuvre, l’étape suivante consiste à réaliser les 61 piliers en béton armé de grand diamètre (3 m) qui soutiendront la dalle supérieure de la gare.
Pour ce faire, 61 « puits marocains » (des excavations verticales cylindriques blindées) de
4 m de diamètre et de 20 m de profondeur sont préalablement creusés. C’est à l’intérieur de ceux-ci que les piliers en béton seront ensuite coulés, depuis le fond vers le haut, dans des coffrages circulaires. L’embase des piliers est évasée, « en patte d’éléphant », afin de mieux répartir les contraintes s’appliquant sur le substratum calcaire.
… puis de la dalle supérieure de la gare
Lorsque les 61 piliers sont construits, la dalle supérieure de la gare est coulée. Ses dimensions, impressionnantes – 100 m de long, 60 m de large et 2,5 m d’épaisseur – en font un ouvrage très massif de 15 000 m3 de béton. « Il n’était pas envisageable de couler un tel volume de béton en une seule fois vu les contraintes d’accès des camions toupies », précise Marc Roussilhes. La dalle sera donc coulée en trente plots de 500 m3. « Le nombre de bétonnages a été défini à l’optimum des contraintes d’approvisionnement et de la volonté de limiter les reprises de bétonnage, qui augmentent les effets liés au retrait du béton », commente Marc Roussilhes. Une fois terminée, la dalle est vérinée sur les têtes des piliers définitifs de la gare, pour limiter et contrôler tous les mouvements millimétriques issus des transferts de charges de la phase suivante.
Car, puisque la dalle de couverture de la gare, qui constitue aussi le plancher du niveau bas des parkings existants, est maintenant achevée, les 119 poteaux existants, dont les charges avaient été transférées sur des appuis temporaires, sont mis en connexion avec elle. Le système de descente de charges est alors le suivant : les 119 poteaux existants sont soutenus par la nouvelle dalle supérieure de la gare, qui transfère ces efforts dans les 61 nouveaux piliers.
Terrassement en taupe
Cet équilibre structurel établi, le terrassement en taupe du vaste volume intérieur de la gare (150 000 m3) peut commencer. Les voiles latéraux et longitudinaux de la « boîte à chaussures » constituée par la gare sont alors réalisés à l’avancement du terrassement. Ils sont majoritairement consolidés en phase provisoire par de fortes épaisseurs de béton projeté puis cloutés. Une fois que les excavations ont atteint le fond de la gare, le radier est coulé. La « boîte », totalement terrassée, est désormais étanche, et le pompage d’eau continu destiné à rabattre la nappe phréatique peut être arrêté. Les dernières étapes sont celles de la construction, du bas vers le haut, du Génie Civil de la gare : les quais, les escaliers et les accès piétons, ainsi que les mezzanines. Les extensions situées de part et d’autre de la reprise en sous-œuvre, destinées à accueillir les extrémités des quais de la gare, sont quant à elles construites dans des galeries excavées en souterrain en méthode traditionnelle.
Alors que les travaux de reprise en sous- œuvre battent leur plein, le coulage de la
dalle de couverture de la gare devrait démarrer au printemps 2019. La livraison de l’ensemble de la gare est quant à elle prévue pour mai 2021.
Outre la gare sous le CNIT, le prolongement à l’ouest du RER E comprend la création de deux autres nouvelles gares : Nanterre La Folie et Porte Maillot. Si la première, établie sur une emprise ferroviaire de fret en partie désaffectée, est aérienne, la seconde est souterraine. Implantée à 29 m sous la surface, à proximité immédiate de la station de la ligne 1 du métro, des lignes A et C du RER, ainsi que du parking du Palais des Congrès, sa construction, menée par un groupement piloté par Bouygues Travaux Publics, doit composer avec un environnement souterrain très dense. D’une longueur de 225 m, elle est en partie réalisée à ciel ouvert, en partie en souterrain.
Ces trois gares seront reliées au terminus actuel Haussmann-Saint-Lazare par l’intermédiaire d’un nouveau tunnel de 8 km. La majeure partie de cet ouvrage est réalisée sur 6,1 km au moyen d’un tunnelier à confinement de 9,6 m de diamètre (groupement Bouygues Travaux publics). Pour la traversée de la Défense, l’ouvrage monotube se divise en deux plus « petits » tubes – réalisés en méthodes traditionnelles par le groupement e-déf, Eole-La Défense –, un changement de conception qui permettra de limiter les interférences avec les ouvrages existants.
Du microbéton autoplaçant au béton projeté
Toutes les structures en béton de la gare sous le CNIT sont conçues et bâties pour une durée d’utilisation d’un siècle. Le laboratoire béton de VINCI Construction France a doté d’une formulation unique chaque partie de l’ouvrage. Parmi elles, la dalle de couverture sera coulée avec un béton de classe de résistance C 35/45 permettant de limiter les risques de fissurations.
« Comme l’ouvrage est très épais – de 2,5 m à 2,75 m au droit des retombées de poutres –, il fallait limiter les gradients thermiques lors du bétonnage, décrit Marc Roussilhes. Pour ce faire, nous sommes partis d’un ciment à base de clinker auquel nous avons ajouté du laitier moulu et des cendres volantes, ce qui permet de limiter la chaleur d’exothermie. »
L’un des bétons les plus techniques est peut-être celui qui constitue les massifs précontraints de reprise en sous-œuvre des poteaux. « Vu la densité d’armatures très importante dans ces massifs (plus de 200 kg/m3), nous avons formulé un microbéton, c’est-à-dire un béton dont la granulométrie faible permet de s’assurer que l’enrobage est maximal. Très résistant (classe de résistance C 60/70), il est de plus autoplaçant, car les coffrages fermés dans lesquels il est coulé ne permettent pas le passage des aiguilles vibrantes. »
Par ailleurs, le projet donne la part belle au béton projeté par voie humide, utilisé en grand volume pour réaliser le soutènement temporaire des parois longitudinales et latérales de la gare à l’avancement du terrassement. « Les épaisseurs de béton projeté atteindront 80 cm, ce qui n’est pas courant », commente Marc Roussilhes.
Un défi logistique
À la grande complexité du phasage de construction de la gare, s’ajoute celle de la logistique, qui représente un défi hors normes, en particulier dans le contexte très dense du quartier de la Défense. Entièrement souterrain, le chantier est ainsi alimenté depuis une dizaine de points d’accès, totalement invisibles depuis la surface, et doit respecter les conditions très strictes de circulation à la Défense, qui touchent à la fois les horaires et les gabarits. « Pour mieux contrôler les flux de nos camions, nous avons créé trois plates-formes logistiques à proximité de la Défense. Nos fournisseurs y livrent les matériaux avec leurs engins classiques, et nous nous chargeons de la logistique du dernier kilomètre avec des véhicules adaptés », illustre Guillaume Le Réveillé. Des camions toupies sont ainsi modifiés pour s’accommoder de la faible hauteur sous plafond des voies de dessertes du chantier. « Pour un même volume transporté (8 m3), nous avons réussi à gagner 30 à 40 cm de hauteur en modifiant l’angle d’inclinaison de la toupie », précise Marc Roussilhes.
Autre défi : pour permettre l’accès des hommes, des matériels et des matériaux au chantier, situé dans une zone confinée (2,20 m de hauteur sous plafond) au niveau - 4 des parkings existants, il a fallu créer une « faille ». Soit une entaille de 90 m de long, 10 m de large et 20 m de profondeur découpée dans les dalles existantes sur toute la hauteur des quatre niveaux de parkings. « Ce “canyon”, qui servira d’accès à la gare en phase définitive, est équipé d’un pont roulant de 20 tonnes, par lequel sont descendus les engins et les matériaux, ainsi que d’une benne à déblais, qui permet d’évacuer les 150 000 m3 de terre excavée lors du terrassement en taupe de la gare », commente Guillaume Le Réveillé.
Le béton, mis en œuvre par pompage, est quant à lui approvisionné à 80 % à partir d’une centrale à béton spécialement installée pour le chantier en bord de Seine à Nanterre, doublée d’une centrale de secours sur le même site. L’installation est alimentée par barge directement depuis la Seine.
Chiffres clés
- Volume béton : 200 000 m3
- Quantité d’armatures : 10 600 tonnes
Un chantier réalisé « sous cloche »
Pour ne pas pénaliser l’activité commerciale du CNIT, ni perturber les riverains, le chantier est totalement isolé de son environnement par un « sarcophage » acoustique. Tapissant toutes les interfaces (plafonds et murs) entre la zone de chantier et les bâtiments du CNIT, cette enceinte, également coupe-feu, est constituée d’un complexe sandwich, intégrant une mousse isolante entre deux plaques de plâtre.
Les vibrations générées par les bruits solidiens sont quant à elles limitées grâce à un système de détection et de suivi rigoureux. « Lorsque les vibrations que nous générons dépassent des seuils définis par la maîtrise d’œuvre en lien avec l’exploitant du CNIT, nous devons adapter notre méthode de réalisation des travaux », explique Marc Roussilhes. Aux BRH (brise-roche hydrauliques) se substituent alors des engins de sciage, de croquage ou d’hydrodémolition, moins générateurs de vibrations.
Principaux intervenants
Reportage photos : Olivier Baumann ; Aline Boros ; © Setec/Egis/Duthilleul/Arep/Vincent Donnot
Maître d’ouvrage : SNCF Réseau – Maître d’œuvre : Setec TPI (mandataire), Egis et Agence Duthilleul (architecte) – Entreprises travaux : groupement e-déf, Eole-La Défense : VINCI Construction France (mandataire), VINCI Construction Grands Projets, Dodin Campenon Bernard, Solétanche Bachy France, Botte Fondations, Spie Batignolles Génie Civil et Spie Batignolles Fondations – Montant des travaux de la prolongation du RER E : 3,8 Mds € – Période de travaux : avril 2016 - mai 2021 – Mise en service de la ligne : 2024.